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Global Columns

Une guerre entre les États-Unis et la Chine est-elle vraiment inévitable?

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Thucydide, un Athénien qui a vécu vers l’an 400 avant Jésus-Christ, était à la fois un mauvais général et un bon historien. Dans son ouvrage intitulé La Guerre du Péloponnèse, il relate la conflagration qui a éclaté entre Sparte et Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ. Beaucoup considèrent cet écrit comme la première tentative d’expliquer l’histoire en recourant aux faits et à l’analyse et non en invoquant les desseins des dieux.

Après avoir examiné les facteurs qui ont poussé Athènes et Sparte au conflit, Thucydide soutient qu’il est difficile pour une puissance en plein essor, en l’espèce Athènes, de coexister pacifiquement avec la puissance dominante que constituait alors Sparte. Graham Allison, professeur à Harvard, a popularisé ce phénomène, qu’il a baptisé le «piège de Thucydide». Ce professeur de sciences politiques a étudié seize situations apparues au cours des 500 dernières années, dans lesquelles émerge une nation capable de s’opposer avec succès à la puissance dominante. Douze fois sur seize, ces situations ont débouché sur des guerres!

Statistiquement, la guerre entre Américains et Chinois est plus que plausible

Cette théorie, que l’on peut assurément appliquer au monde moderne, est au cœur du livre Destined For War, Can America and China Escape Thucydide’s Trap? (littéralement: Destinées à la guerre, l’Amérique et la Chine peuvent-elles échapper au piège de Thucydide?) du professeur Allison. Ce spécialiste estime qu’au train où vont actuellement les choses, une guerre entre ces deux pays dans les décennies à venir est non seulement possible, mais bien plus probable que l’on n’imagine.

Cet ouvrage s’inscrit dans le droit fil de multiples analyses –ces derniers temps, ce sujet donne lieu à de nombreux livres, articles et conférences– qui mettent en garde contre les conséquences de l’ascension de l’Orient au détriment de l’Occident.

Gideon Rachman, journaliste au Financial Times, a écrit un livre dont le titre, Easternization, fait référence à l’orientalisation du monde. Son message central est le suivant: l’ascendant international dont ont joui des siècles durant les puissances occidentales, à savoir les États-Unis et l’Europe, touche à sa fin. Cet auteur explique que le centre de gravité du pouvoir mondial s’est déplacé vers l’Asie, se situant plus particulièrement en Chine.

Bill Emmot, ex-rédacteur en chef de The Economist, s’inquiète lui aussi du destin de l’Occident. Dans The Fate of the West (littéralement: Le Sort de l’Occident), il affirme que «l’Occident est l’idée politique qui rencontre le plus grand succès», précisant que l’on n’a pas affaire à un lieu, mais à une série de notions, de valeurs ainsi que de conditions sociales et politiques guidées par la préservation des libertés individuelles, l’ouverture économique et la quête d’égalité et de justice pour tous. Naturellement, le creusement des inégalités dont souffrent les pays occidentaux et les troubles politiques que celles-ci ont engendrés préoccupent Bill Emmot: «Sans une société ouverte, l’Occident ne parviendra pas à prospérer, mais sans égalité, il ne pourra pas perdurer». Emmott se distingue cependant des autres auteurs en ce qu’il ne croit pas que l’Asie supplantera l’Occident.

Ceux qui pensent que la Chine pourrait parvenir à une véritable hégémonie mondiale sous-estiment les faiblesses du géant asiatique. Ils partent aussi du présupposé que les difficultés qui entravent le rayonnement international des États-Unis sont des tares irrémédiables et, par conséquent, permanentes. Mais la réalité est tout autre: de même que les problèmes de l’Occident ne sont pas insolubles, ceux de la Chine ne sont pas négligeables. La croissance économique chinoise est surprenante, certes. Les progrès sociaux accomplis en Chine sont incontestables et la modernisation de ses forces armées peut avoir de quoi intimider. Mais il n’en subsiste pas moins dans ce pays des dysfonctionnements considérables.

La Chine est en fait à la traîne

Ian Buruma, un Néerlandais spécialiste de l’Asie, estime que, parmi tous les livres récents qui traitent de l’expansion de cette région, le pire est celui du professeur Allison. Selon lui, Graham Allison y fait preuve d’une grande méconnaissance de la Chine et minimise les fléaux qui handicapent ce pays. En dépit de son dynamisme certain, l’économie chinoise est fragilisée par de nombreux déséquilibres et distorsions. Les régions rurales ont vu exploser les inégalités et demeurent en proie à une pauvreté généralisée. Au chapitre écologique, la Chine est un véritable cancre: chaque année, plus d’un million de personnes meurent à cause de la pollution. Sur le front militaire, la Chine reste largement devancée par les États-Unis, lesquels bénéficient de surcroît d’un large réseau d’alliés en Asie. Des alliés qui craignent la Chine et éprouvent à son égard un profond ressentiment d’ordre historique. À titre d’exemple, la Chine et le Vietnam se sont fait la guerre dix-sept fois.

La remise en cause la plus significative de la perspective d’une Chine acquérant le statut de superpuissance mondiale vient peut-être de son régime politique. Ce modèle autocratique est de moins en moins séducteur et difficile à pérenniser, tant il est vrai qu’assujettir des centaines de millions de personnes aux projets d’un dictateur est un chemin qui, par les temps qui courent, conduit à l’instabilité politique. Or, un pays politiquement instable a peu de chance de l’emporter dans les conflagrations qui correspondent au piège de Thucydide.