Marine Le Pen, le populisme au cœur
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra et édité par Yann Guillou
Marine Le Pen s'est escrimée à rendre sa candidature «potable» pour les électeurs français plus modérés: cela a fait couler beaucoup d'encre. Mais à écouter la manière dont elle présente les enjeux au cours de la campagne, on se rend vite compte que le populisme demeure au cœur de son approche électorale. La représentation de la fracture fondamentale comme «le peuple contre l'oligarchie» est la pierre angulaire de tout discours populiste, qu'il vienne de la gauche ou de la droite de l'échiquier politique.
«Ce rendez-vous du 24 avril, vous l'avez compris, met face à face le bloc populaire contre le bloc élitaire, le bloc de ceux qui considèrent le peuple comme le seul souverain, contre le bloc qui concède le pouvoir à ses techniciens. Bref, le bloc du peuple contre l'oligarchie», clamait ainsi Marine Le Pen le 14 avril à Avignon.
Dans le monde entier, le populisme fait preuve d'une ténacité certaine. Ces dernières années, les rhétoriques populistes ont permis à des dirigeants radicaux d'accéder au pouvoir un peu partout: du Brésil à la Hongrie en passant par l'Autriche et les Philippines. Quand ils sont en campagne, ces politiciens prennent souvent le soin d'édulcorer leur discours clivant pour éviter d'effrayer les modérés. Mais une fois aux commandes, ils estiment en général que pour exercer efficacement le pouvoir, ils ont tout intérêt à exacerber les divisions à la moindre occasion: creuser encore et encore un fossé entre leurs partisans et leurs détracteurs –ces derniers étant rapidement qualifiés d'ennemis du peuple.
Les plus anciennes démocraties peuvent tomber dans ce piège
On l'a vu, pour séduire, les dirigeants de cette sorte n'en sont pas à un mensonge près. Dans une démarche qui consiste à créer une très forte adhésion personnelle, ils invoquent purement et simplement des faits qui n'existent pas pour attaquer celles et ceux qui les critiquent et accentuer les clivages de la société. Très vite, leurs partisans renoncent totalement à examiner leurs propos, préférant croire les moindres mensonges, aussi invraisemblables qu'ils soient. Et ils forgent leur identité autour de ces contrevérités.
Comme je l'explique dans mon dernier livre, The Revenge of Power, le populisme, la polarisation et les post-vérités (les «3 P» caractérisent une nouvelle manière d'accéder au pouvoir par la voie démocratique, puis de l'exercer sans limites. Celui qui a appliqué cette méthode avec le plus de succès, Vladimir Poutine, montre à quel point le mélange sans scrupule de ces ingrédients –les «3 P»– peut s'avérer dangereux. L'arrivée au pouvoir de Donald Trump et de Boris Johnson illustre le fait que même les plus anciennes démocraties, aux institutions les plus fortes, peuvent tomber dans ce piège.
Aujourd'hui, la France se trouve au bord du précipice qui consiste à essayer les «3 P». Si elle est élue, Marine Le Pen comprendra vite qu'en tant qu'outsider populiste, le seul moyen de gouverner réellement est de cliver la nation sans relâche et de mentir comme elle respire. Les institutions républicaines subiraient d'énormes pressions et en pareil cas, il n'est jamais acquis qu'elles résisteraient.
La France n'a pas à connaître ce triste sort. Ses institutions démocratiques, aussi imparfaites soient-elles, sont bien meilleures que les autocraties qui naissent toujours lorsque règne le populisme, associé aux clivages et aux contrevérités.
C'est aux Françaises et aux Français de choisir. Souhaitons que leur choix soit le bon!