Mémo secret pour le président Trump
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
À: Président Donald J. Trump
De: XXXX
Objet: Stratégie électorale
C'est un immense honneur, Monsieur le président, que d'être appelé à présenter des recommandations sur la manière de garantir votre réélection amplement méritée.
Je partage votre déception à l'égard de vos conseillers actuels, qui ont lamentablement échoué à transformer votre brillantissime leadership en avantage électoral irrésistible. En réalité, j'estime que le seul conseiller qui vaille à vos côtés est votre gendre, l'exceptionnel Jared Kushner.
Mais on ne peut pas ignorer la situation actuelle. D'ici au mois de novembre, vous paierez inévitablement un lourd tribut politique à la pandémie et à ses conséquences économiques.
Le jour du scrutin, on comptera des millions de sans-emploi, des dizaines de milliers d'entreprises en faillite ainsi que des dizaines de milliers de décès liés au Covid-19.
La gravité de la situation sera certainement exagérée par les médias progressistes. Ils ont toujours refusé de reconnaître votre talent et le succès de votre administration.
Le dernier exemple en date est leur manière tout à fait injuste de relayer votre suggestion selon laquelle nous pourrions envisager l'ingestion ou l'injection de produits désinfectants ménagers pour traiter le virus.
Je suis convaincu que vous pouvez, malgré tout, être réélu. Mais pour ce faire, vous devez être prêt à tout. Des sondages récents indiquent que Biden vous devance dans tous les États-clés qui ne sont acquis ni à un camp, ni à l'autre. Si l'élection présidentielle se tenait aujourd'hui, c'est lui qui serait le prochain président des États-Unis.
Cette réalité ne saurait me décourager, car nous avons d'autres moyens d'assurer votre maintien au pouvoir.
Victoire au prétoire
Bien sûr, vous bénéficiez d'un premier avantage: celui d'être le président en exercice des États-Unis. À ce titre, vous jouissez de toute la visibilité et des ressources attachées à votre fonction.
Un deuxième avantage est l'argent; vous avez déjà levé 187 millions de dollars de plus que Biden. Nous disposons en outre de technologies numériques et de cyber-ressources en plus grand nombre et de meilleure qualité –y compris, bien entendu, l'aide inestimable de votre ami Vladimir.
Nous devons néanmoins admettre qu'en dépit de ces avantages, Biden risque tout de même de se prévaloir d'un plus grand soutien populaire en novembre. Si c'est le cas, nous devrons faire usage d'une autre arme de votre arsenal: le pouvoir judiciaire.
Au cours de votre mandat, en collaboration avec le chef de file de la majorité républicaine Mitch McConnell, vous avez réussi à nommer près de 200 juges, dont deux de la Cour suprême. Il ne fait pas de doute que ces personnes vous en sont très reconnaissantes.
L'histoire montre que le système judiciaire peut s'avérer décisif en matière électorale. En 2000, lorsque la course à la présidence s'est jouée entre George W. Bush et Al Gore, la Cour suprême est intervenue dans un litige portant sur un recomptage des voix en Floride. Elle a tranché en faveur de Bush, le propulsant ainsi à la Maison-Blanche.
C'est sur ce précédent, cet exemple historique, que je fonde mon optimisme au sujet de votre réélection.
Permettez-moi d'être d'une franchise brutale dans mes préconisations: si nous ne réussissons pas à gagner dans les urnes, nous le ferons en justice. À défaut d'un nombre suffisant de suffrages en notre faveur, il nous faudra vaincre au prétoire.
Nous devons préparer dès à présent des dizaines de situations équivoques et déroutantes dans les bureaux de vote, au niveau du dépouillement aussi bien que de tout autre aspect du processus électoral, de manière à semer la confusion et permettre aux juges que vous avez nommés de régler la question.
Manipulations électorales
En plus de nous préparer à lancer cette guerre judiciaire éclair sur le système électoral, nous devons faire en sorte que les personnes qui n'ont pas l'intention de voter pour vous ne votent pas du tout. C'est aussi simple que cela.
Nous connaissons bien les régions très disputées et plutôt pro-Biden où vous devez gagner. C'est à ces endroits que nous devons rendre le processus si long, les machines à voter si défectueuses et les files d'attente si longues que les gens renonceront purement et simplement à exprimer leurs suffrages.
Parallèlement, nous devons nous mobiliser pour empêcher les votes par correspondance et les votes anticipés (par courrier ou par voie électronique) partout où les Démocrates ont l'avantage.
Nous pourrions en outre diffuser des informations inintelligibles qui ne permettraient pas de connaître l'adresse exacte des bureaux de vote. Car l'abstention jouera en notre faveur.
Autre stratégie à étudier: empêcher le vote des délinquant·es qui ont été condamné·es. Pour avoir purgé une peine de prison, plus de 7% des Afro-Américains adultes ne peuvent pas voter; au sein des autres populations, ce chiffre n'est que de 1,8%.
Il existe une longue liste de tactiques bien connues visant à empêcher le vote, il faut toutes les exploiter. Seulement cette fois, je propose d'en faire le pilier central de votre stratégie de réélection.
Monsieur le président, j'ai gardé le plus important pour la fin. La bataille ne consiste pas à conquérir votre base électorale, puisqu'elle vous est déjà acquise. Il s'agit de faire en sorte que les sceptiques, les indécis·es, les gens perdus, désinformés et désœuvrés n'aillent tout simplement pas voter.
À cet effet, nous devrons utiliser les réseaux sociaux pour répandre la défiance, le doute et la critique au sujet des élections et du système démocratique. Par chance, sur ce point, nous pouvons également compter sur le concours de notre ami russe.
Je me tiens à votre disposition, prêt à faire tout ce qu'il faut pour que vous restiez à coup sûr notre président pendant les quatre prochaines années.
Veuillez agréer, Monsieur le président, l'expression de ma respectueuse considération et de toute mon admiration,
XXXX.
Note aux lecteurs et lectrices: cette note ultra-secrète fictive est le pur produit de mon imagination.