Les «miracles» colombiens
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Dimanche, pendant que les Colombiens choisissaient démocratiquement leur nouveau président [Juan Manuel Santos, dauphin désigné d'Alvaro Uribe, a remporté l'élection face à Antanas Mockus], des millions de leurs voisins les enviaient. Il y a de quoi.
Le «miracle» démocratique
Ils envient un pays où un dirigeant extrêmement populaire et dont le désir était clairement de continuer à gouverner accepte de quitter le pouvoir et de rentrer chez lui au terme de son mandat, conformément à la décision d'un tribunal. C'est une chose inimaginable dans beaucoup de pays d'Amérique latine, où les juges sont contrôlés par le chef de l'Etat. Ils envient également une course électorale dans laquelle tous les candidats ont de sérieuses références, une longue expérience, apportent des propositions valables et affichent la volonté de ne pas donner dans le populisme tellement à la mode en Amérique latine.
La Colombie n'est pas seulement enviable pour sa démocratie. Ses miracles aussi rendent jaloux. Et ses dernières années, la Colombie en a connu à plusieurs niveaux.
Le «miracle» économique
A l'étranger, ses progrès économiques constituent sans doute le miracle le moins reconnu. En 2002, quand Alvaro Uribe est entré en fonction, la Colombie n'exportait que 6,6 milliards de dollars de produits «non traditionnels», comme le pétrole ou le café. L'an dernier, les exportations de ces produits ont atteint 15 milliards de dollars, malgré une récession mondiale et l'embargo commercial qu'avait imposé le Venezuela à la Colombie. Sous la présidence d'Uribe, la croissance économique de la Colombie était chaque année en hausse, créant près de 3 millions d'emplois. Les investissements privés, aussi bien nationaux qu'étrangers, ont augmenté de façon considérable, et l'inflation est passée de 7% en 2002 à 2% en 2009.
Pour placer ces chiffres en contexte, une comparaison avec le Venezuela sur la même période est aussi lamentable que révélatrice: la pénurie et la cherté de la vie y sont courantes (son inflation est la plus forte du continent!), les destructions d'emplois dans le secteur privé sont massives, la croissance économique a baissé pour se situer à 3,3% en 2009 contre 5,8% l'année précédente. Bref, la pire situation du continent américain, et ce malgré le fait que durant les dix ans de présidence d'Hugo Chavez, le Venezuela a bénéficié des plus importants revenus pétroliers de son histoire. Des recettes par ailleurs gonflées par des prêts internationaux qui, aujourd'hui, accablent le pays d'une dette extérieure quatre fois supérieures à celle de 1999.
Le «miracle» sécuritaire
Rien que pour cela, la jalousie qu'éprouvent les Vénézuéliens à l'égard de la Colombie est plus que justifiée. Mais il n'y a pas que l'économie. La Colombie a également connu des transformations miraculeuses en ce qui concerne la sécurité de ses citoyens. Il y a quelques années, les villes de Bogota, Medellin ou Cali étaient synonymes d'assassinat, d'enlèvement et de crime généralisé. Aujourd'hui, cette caractéristique est vraie pour Caracas, la capitale vénézuélienne, et pour certaines villes du Mexique et d'Amérique centrale.
Ensuite, il y a les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), ces mercenaires sanguinaires qui, déguisés en militants sociaux, ont survécu grâce au trafic de drogue et aux enlèvements. Cette guérilla cruelle a terrorisé les Colombiens -surtout les plus démunis- durant des décennies. Pendant longtemps, les professeurs, responsables politiques et journalistes nous ont expliqué que l'argent de la drogue, la jungle colombienne hostile, la faiblesse de l'armée et de la police, le caractère vénal des politiciens et la pauvreté du pays faisaient des Farc une malédiction dont les Colombiens auraient à s'accommoder pour la vie. Ils se sont trompés.
A la veille du second tour de la présidentielle, dans la presse internationale, on pouvait lire des titres du style: «La guérilla n'est plus le problème majeur de la Colombie». Cela va plus loin: les médias nous informent que les Farc sont affaiblis, démoralisés, isolés et privés de leur ancienne influence. Ils ne terrorisent plus les Colombiens. Un miracle, semble-t-il!
Les «miracles» non-réalisés
Bien évidemment, la Colombie n'est pas un paradis. Près de la moitié de ses habitants sont encore très pauvres. De plus, les inégalités économiques, les injustices sociales, la violence, la corruption et le narcotrafic demeurent des réalités quotidiennes. (Mais dans une moindre mesure.) Ce n'est pas rien dans une vaste région comme l'Amérique latine où les progrès sont si rares que, quand il y en a, cela ressemble à un miracle.
Les progrès de la Colombie sous la présidence d'Alvaro Uribe sont incontestables. Ses succès suscitent la jalousie, mais servent aussi de modèle pour d'autres pays encore embourbés dans l'autoritarisme et la mauvaise gouvernance. Les Colombiens ont prouvé au monde entier qu'il n'est pas impossible d'inverser une tendance et d'éviter un sort inacceptable.
Ainsi, alors qu'ils ont un nouveau président, ils ont de quoi être fiers. On peut les admirer, et même les envier.