Etats-Unis et Brésil: un tandem irrésistible
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Juin 2003, le nouveau président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, s’était rendu à Washington pour rencontrer George W. Bush. La veille de cette réunion, une de mes chroniques paraissait dans le Financial Times dans laquelle j’exhortais le président Bush à se montrer aussi ambitieux à l’égard du Brésil qu’il le faisait vis-à-vis de l’Irak. Dans le cas du Brésil, je demandais au précédent dirigeant des Etats-Unis de ne pas rechercher un changement de régime, mais de s’efforcer de consolider le gouvernement de Lula…
Un partenariat ambitieux Etats-Unis-Brésil aurait été constructif pour tous…
Je suggérais à Bush de faire une offre à son homologue brésilien que ce dernier ne pourrait pas refuser: un grand et généreux accord commercial; un solide appui aux programmes sociaux que le chef de l’Etat brésilien avait défendu pendant sa campagne; il fallait aussi que Bush fasse bien comprendre aux acteurs des marchés financiers (qui, à l’époque déjà, se méfiaient de Lula) que la Maison Blanche avait confiance en cet ancien leader syndical et qu’elle lui apporterait son soutien sans réserve. J’expliquais alors que ce pacte entre les deux géants du continent américain pourrait transformer en profondeur non seulement le Brésil, mais l’ensemble de la région.
Si ces deux pays s’engageaient à réduire les barrières au commerce international, à défendre ensemble la démocratie sur le continent américain et s’ils invitaient les pays voisins à rejoindre cette alliance, ils mettraient en marche une véritable révolution politique et économique. Aux effets positifs! Les autres pays de la région ne pourraient tout simplement pas se permettre de rester en dehors de cet accord. Dans mon article, je reconnaissais tout de même que ma proposition pouvait facilement faire l’objet de railleries… Je soulignais aussi son côté naïf.
Ce premier entretien entre Lula et Bush fut très fructueux. Le conservateur américain et le «travailliste» brésilien surprirent le monde entier par la relation très cordiale qu’ils avaient engagée. Mais ensuite, il ne s’est rien passé. Washington n’a trouvé aucun intérêt à faire des propositions concrètes au gouvernement brésilien. Fort heureusement, le président brésilien n’a pas eu besoin des Etats-Unis pour impulser le progrès chez lui: le Brésil a enregistré beaucoup de succès sous la présidence de Lula.
Il n’est jamais trop tard!
Sept ans plus tard, je réitère ma suggestion. Un grand partenariat entre le Brésil et les Etats-Unis pourrait devenir l’une des innovations géopolitiques les plus marquantes de notre époque. Et peut-être la plus viable.
Il ne s’agit pas de faire périr les soldats brésiliens dans les guerres arbitraires des Etats-Unis ou que Brasilia se soumette aux injonctions de Washington. Ce temps-là est révolu: les Etats-Unis ne s’attendent même plus à ce que leurs alliés traditionnels, Anglais ou Canadiens, les soutiennent de façon inconditionnelle. Il s’agit plutôt de parvenir à la conclusion d’une série d’accords – tout à fait possibles – sur des sujets d’une importance capitale pour les deux pays et pour le reste du monde. Les relations commerciales; le changement climatique; les réformes de la finance; le commerce international; la prolifération nucléaire et la façon dont le monde gérera les perturbations qui découleront inévitablement de l’ascension économique et politique de la Chine, de l’Inde et, bien sûr, du Brésil. Naturellement, les Etats-Unis, comme le Brésil, devront faire des compromis parfois difficiles. Mais c’est précisément ce dont il s’agit.
Le jeu en vaut la chandelle
Ma proposition, dès lors, est que Dilma Rousseff, la nouvelle présidente élue du Brésil [dont l’investiture aura lieu le 1er janvier 2011] fasse à Obama une offre si intéressante qu’il ne pourrait pas se permettre le luxe de la refuser. Par ailleurs, pour de nombreuses raisons, Obama serait beaucoup plus réceptif à l’opportunité d’écrire l’histoire que son prédécesseur.
Pour les Brésiliens, cela suppose un changement d’attitude difficile, mais qui en vaut la peine: cesser de croire que ce qui convient aux Etats-Unis nuit au Brésil. Bien sûr, il arrive que les intérêts de l’un ne soient pas ceux de l’autre. Mais dans de nombreux cas, ce n’est pas vrai. Qui plus est, les sujets où les intérêts convergent sont beaucoup plus nombreux que ceux sur lesquels les différends sont définitivement insolubles.
Je connais bien la liste des obstacles et des objections à cette proposition. Je sais aussi qu’elle continue de revêtir un certain caractère ingénu. Mais l’exercice qui consiste à réfléchir à une façon de révolutionner la relation du Brésil avec les Etats-Unis ne peut-être qu’enrichissant. Le potentiel en termes de bien-être et de progrès – qui pourrait se réaliser si on arrive à dépasser cette ingénuité – est trop important pour que Dilma Rousseff ne se donne pas la peine de l’envisager. Le scepticisme peut parfois s’avérer bien plus coûteux et aveuglant que la naïveté.