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Global Columns

Ce que la succession au FMI nous dit du monde

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Les tremblements de terre présentent l’avantage de révéler les plus profondes caractéristiques géologiques de notre planète. Le Fonds monétaire international (FMI) vient d’être secoué par deux gros séismes: l’arrestation de son ex-directeur général, Dominique Strauss-Kahn; puis la polémique liée à la succession de ce dernier.

Ce second séisme nous livre d’intéressantes informations sur le fonctionnement du système qui régit le monde. Certaines viennent confirmer ce que nous savions déjà. D’autres dévoilent quelques-unes des nouvelles réalités relatives au pouvoir moderne.

Deux enseignements se dégagent du fait, quasiment établi, que le prochain chef du FMI sera une femme: la ministre française de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, Christine Lagarde. Le processus de sélection étant toujours en cours, un impondérable pourrait toujours empêcher Christine Lagarde d’occuper cette fonction –mais j’en doute. La majorité des observateurs bien informés pensent aussi que ce sera bien elle.

On m’a invité à me rendre au siège du FMI, à Washington, pour faire une présentation sur ce sujet à une centaine de fonctionnaires et dirigeants de cette institution. J’ai tout d’abord demandé à ceux qui pensaient que Christine Lagarde ne serait pas retenue pour le poste de lever la main. Une dizaine de personnes l’ont fait. De sorte qu’avant même la fin du processus de sélection, une grande majorité d’observateurs croient déjà en connaître le résultat.

L’Europe et les Etats-Unis bafouent leurs propres principes

Le problème n’est pas tant de savoir si Christine Lagarde présente les qualités requises pour diriger le FMI (je suis sûr que c’est le cas), mais plutôt qu’elle accède à cette fonction à cause d’une procédure inadmissible. Comme chacun sait, les Etats-Unis et l’Europe se sont mis d’accord, en 1944, pour que le patron du FMI soit toujours un Européen, et celui de la Banque mondiale un Américain.

Les candidats originaires d’autres pays n’ont aucune chance. L’aberration est flagrante. En 2008, les chefs d’Etat du G20 s’étaient engagés à ce que les directeurs de ces institutions soient désignés selon une procédure «ouverte, transparente et fondée sur le mérite».

Mais en pratique, il n’en est rien. Aussi, le processus du FMI offre-t-il un rappel rageant: la recherche du pouvoir (et de la conservation du pouvoir) passe avant la défense de certaines valeurs et principes –et même avant le bon sens.

En dépit des déclarations éloquentes et des promesses emphatiques –ainsi que des moyens artificieux visant à donner l’impression d’une procédure plus ouverte et méritocratique– un accord signé à l’époque coloniale demeure en vigueur au XXIe siècle: l’Europe reste à la tête du FMI!

Encore une fois, le problème n’est pas qu’il s’agit de l’Europe, il concerne les critères de sélection du directeur général du Fonds.

L’Europe dispose encore d’un fort pourcentage de votes au FMI et elle les utilise. Cette quote-part a récemment diminué, mais demeure élevée puisqu’elle se fonde sur le poids du continent dans l’économie mondiale (son PIB) en 1944.

L’Europe se sert de ce pouvoir hérité pour protéger en privé des privilèges qu’elle dénonce en public. Comme quoi, quand il s’agit de pouvoir, les mots importent peu. Ce sont les canons, les ressources ou, dans ce cas précis, le pourcentage de votes qui pèsent de tout leur poids. Le reste n’est que tapage, palabres et distractions.

Les nouveaux pôles de pouvoir manquent encore de cohésion

Une autre leçon ressort de ce processus. A savoir que les nouveaux centres du pouvoir mondial n’ont toujours pas réalisé leur potentiel. Les pays émergents qui forment le groupe Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ne ménagent pas leurs efforts pour se présenter à la face du monde comme le nouveau pôle de pouvoir économique et politique.

En théorie, ils pourraient définir une position commune face à la nomination du nouveau chef du FMI; ce serait le moyen idéal de montrer au reste du monde qu’il existe une nouvelle alliance de puissances capables d’agir en concertation. Cependant, les pays du Brics n’y sont pas parvenus. D’ailleurs, ils n’ont même pas essayé.

Le Brésil, fer de lance de l’Amérique latine, n’a par exemple pas trouvé de motivations suffisantes pour soutenir dès le départ le très compétent candidat mexicain. Les autres pays n’ont pas non plus affiché un grand intérêt à mettre fin à cet accord ahurissant entre les Etats-Unis et l’Europe.

C’est une réalité: de nouveaux centres de pouvoir existent. Dans cette situation, cependant, les pays qui les constituent n’ont pas su, voulu ou pu exercer leur pouvoir de manière coordonnée, comme l’a fait l’Europe.

Ainsi, chacun des pays du groupe Brics a renforcé son pouvoir individuel. Mais le groupe n’a pas uniformisé ses prises de positions et ses actions. Le jour où il parviendra à le faire, c’est un monde très différent qui s’offrira à nous.