L’étonnante révolution de 2014: ce que la chute des cours du pétrole peut changer
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Une dynamique révolutionnaire de redistribution mondiale des revenus est en marche. Rien que ces six derniers mois, les cours du pétrole ont chuté de 40%. Cela représente un transfert annuel équivalent à 2% du PIB mondial qui va des producteurs aux consommateurs. C’est un manque à gagner de 316 milliards de dollars pour les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. Et l’Opep ne compte aujourd’hui que pour 35% du marché mondial (contre 50% en 1974). Les Etats de cette organisation ainsi que d’autres pétro-Etats comme la Russie subiront une considérable réduction de leurs revenus pétroliers, ce qui les obligera à opérer de douloureux ajustements économiques.
Des économies pour les consommateurs
Du point de vue des consommateurs, les prix à la baisse du brut dans le monde entier représentent une économie de plus de mille milliards de dollars. Pour les Américains, cela équivaut à une réduction d’impôts de 110 milliards de dollars. Pour la Chine, chaque dollar de moins sur le prix du baril implique une économie annuelle de 2,1 milliards de dollars. L’agriculture mondiale bénéficiera aussi de cette tendance baissière. Un dollar de production agricole consomme cinq fois plus d’énergie qu’un dollar de production manufacturière.
On connaît les raisons de cette chute des prix de l’or noir. La consommation d’énergie a diminué parce que la croissance de l’économie mondiale est faible et que l’offre a augmenté de façon spectaculaire grâce aux nouvelles technologies principalement exploitées aux Etats-Unis. De 2008 à aujourd’hui, la production pétrolière des Etats-Unis a cru de 80%. Cette croissance dépasse à elle seule la production cumulée de chacun des pays de l’Opep, moins l’Arabie saoudite.
Nul ne sait combien de temps durera cet épisode, mais il est évident que les prix finiront par remonter si la consommation augmente ou si la production baisse en raison de conflits internationaux, de troubles sociaux, d’accidents climatiques ou d’événements d’une autre nature.
L’un des indicateurs des prix est le marché des contrats à terme. La commande d’un baril de pétrole pour 2020 coûte autour de 85 dollars. Or, le prix actuel est inférieur à 70 dollars le baril. Les opérateurs internationaux les plus pessimistes proposent des contrats de livraison pour décembre 2015 à un montant de 40 dollars le baril.
D’énormes répercussions si les prix restent bas
En tout état de cause, les experts s’accordent à dire que les prix du pétrole resteront en dessous de la moyenne des trois dernières années. Si tel est vraiment le cas, les conséquences seront d’une ampleur considérable.
Parmi les pays producteurs de pétrole, les plus sévèrement touchés par la crise des prix bas seront le Venezuela et l’Iran. Dans la mesure où le gouvernement vénézuélien n’a pas su gérer l’économie alors que le prix du baril dépassait les 100 dollars, on voit mal comment il pourrait mieux se débrouiller avec un baril à 62 dollars (le pétrole du Venezuela est le moins cher par rapport à la moyenne mondiale). Pour couvrir ses dépenses publiques, Caracas doit bénéficier d’un prix supérieur à 120 dollars par baril. Cette crise pourrait contraindre le gouvernement du Venezuela à limiter ces livraisons de pétrole à prix subventionné à ses voisins, créant alors une grave crise économique à Cuba et en Jamaïque entre autres.
En Iran, la chute des revenus issus de ses exportations de pétrole s’ajoute à des sanctions internationales qui handicapent déjà sévèrement son économie. De fait, il est probable que ces faibles cours du pétrole aient un plus fort impact que ces sanctions compte tenu de l’importante part du pétrole dans les recettes de l’Etat.
Reste à voir si la crise économique poussera l’Iran à chercher un accord nucléaire avec la communauté internationale pour tenter d’obtenir un allègement ou une levée totale des sanctions. Mais le Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, est capable de faire fi de l’état de l’économie qui pénalise ses concitoyens et de se fonder uniquement sur des calculs politiques pour prendre ses décisions.
La Russie connaît une situation du même ordre. Son économie souffrait déjà de circonstances défavorables aux investissements, d’une fuite massive des capitaux et des sanctions imposées par l’Europe et les Etats-Unis. Sa monnaie s’est dévaluée, son marché boursier s’est effondré, l’inflation est en hausse; le pays est entré en récession. Autant dire que 2015 sera une rude année pour Vladimir Poutine et encore plus pour le peuple russe.
Ce ne sont là que quelques-unes des conséquences de la chute des prix du pétrole. Il y en a beaucoup d’autres, la plus importante étant peut-être que de nombreuses sources d’énergie moins polluantes (solaire, éolienne, etc.) deviendront plus chères et peu compétitives. Cette situation n’encourage par ailleurs ni l’épargne, ni l’efficacité énergétique. L’ironie de cette situation, c'est que même lorsque le pétrole était cher, il n’y a pas eu de grande impulsion pour favoriser les énergies renouvelables. On a imaginé au contraire de nouvelles formes de production pétrolière.
Finalement, bien peu de choses qui se passent dans le monde ont des conséquences d’une telle portée, aussi diverse et internationale, que la chute des cours du baril de pétrole.