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Global Columns

Faut-il s’attendre à une seconde guerre de Sécession américaine?

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

La seconde guerre de Sécession qui éclatera aux États-Unis sera plus dévastatrice que celle qui a débuté en 1861. Dans ce premier conflit, le nombre de morts a dépassé le total des victimes de toutes les guerres auxquelles ont participé les États-Unis depuis lors.

La guerre civile qui déchirera la superpuissance américaine à la fin du siècle sera bien pire… La nation sera divisée entre les États «rouges» du Sud et les États «bleus» du Nord. Le changement climatique aura drastiquement altéré les frontières et les formes de vie.

L’État de Floride, par exemple, aura tout simplement cessé d’exister, cédant la place à cette étendue d’eau navigable qui s’appellera la mer de Floride. Un attentat terroriste consistera à répandre un nouvel agent biologique qui entraînera une pandémie décennale et fera plus de 110 millions de morts.

Une fiction poignante et quasi réaliste

Non, il ne s’agit pas des prédictions d’un futurologue, mais des conjectures d’un romancier. Omar El Akkad, 35 ans, est né en Égypte et a grandi au Qatar. Il a travaillé comme journaliste au Canada et a couvert l’actualité de la guerre d’Afghanistan, de la prison de Guantanamo, des printemps arabes et des conflits raciaux de Ferguson, dans l’État du Missouri. Autant d’événements dont il s’est inspiré pour écrire ce premier roman terriblement angoissant, American War.

Ces derniers temps, on assiste à une prolifération des romans dystopiques, dont l’intrigue se déroule dans un futur inquiétant. Il est évident qu’American War fait partie du genre.

Le conflit armé dont il est question dans ce livre s’étale entre 2074 et 2095 et, bien que son déclencheur immédiat soit l’assassinat du président des États-Unis par un kamikaze, l’action s’inscrit dans une société aux valeurs, aux styles de vie et aux convictions politiques inconciliables.

À la suite de la promulgation d’une loi interdisant l’usage des combustibles fossiles dans tous les États-Unis, le Mississipi, l’Alabama, la Géorgie, la Caroline du Sud et le Texas refusent de l’appliquer et proclament leur indépendance. La situation dégénère et débouche sur la seconde guerre de Sécession!

L’auteur déroule son fil conducteur en partant de l’histoire d’une famille lambda de cette époque, les Chestnut. L’impact de la guerre sur leur vie sans histoire sera tel qu’ils iront s’installer dans un camp humanitaire du nom cruellement ironique de «Patience».

Fort de sa connaissance approfondie des camps du Proche-Orient, Omar El Akkad décrit avec justesse et de façon poignante les conditions de vie dans ces villes précaires et prétendument provisoires, qui finissent presque toujours par être définitives.

La famille Chestnut est constamment déchirée par des conflits politiques, nourris de haines ancestrales exacerbées par les dérèglements climatiques et les nouvelles technologies. L’anti-héroïne est l’une des filles Chestnut, Sara T. Chestnut, que tout le monde surnomme Sarat. Sa sœur jumelle, Dana, meurt dans un bus sous des missiles lancés par un avion téléguidé, l’un de ces fameux drones omniprésents dans ce roman.

Changement climatique, nouvelles technologies et attentats terroristes font bien partie de notre réalité

Le terrorisme y figure aussi en bonne place. Dans le camp Patience, la jeune Sarat est recrutée et radicalisée par un vieil homme qui se trouve être un agent de l’Empire bouazizi. Cet empire inattendu a vu le jour après qu’une longue série de révolutions dans les pays arabes et en Asie centrale eut créé les conditions de la formation d’une nation unifiée, ayant pour capitale Le Caire.

La Chine et l’Empire bouazizi sont les deux premières puissances économiques mondiales, si bien que des millions d’Européennes et d'Européens migrent vers le Nord de l’Afrique pour y rechercher des emplois inexistants dans leurs pays après l’effondrement de l’Union européenne.

Le nom de ce nouvel empire n’est pas anodin et est même chargé de sens: Mohamed Bouazizi est ce jeune homme dont l’immolation par le feu, en 2010, avait provoqué les révoltes populaires qui ont conduit au renversement du dictateur Moubarak et alimenté les printemps arabes.

Dans le roman d’El Akkad, l’Empire bouazizi s’emploie à entretenir et renforcer conflits et divisions au sein des États-Unis pour empêcher ce rival possible de prospérer. Avec un certain succès, du reste, puisque l’agent Sarat réussit à s’infiltrer dans la cérémonie de réunification des États-Unis pour propager la substance provoquant la pandémie qui mettra à genoux le pays pendant de longues années.

Roman prémonitoire?

Implicitement, le but de nombreuses dystopies est de dépeindre le monde actuel en y intégrant des éléments futuristes. En l’occurrence, l’auteur le fait avec brio.

Omar El Akkad explique que lorsqu'il a commencé à écrire ce livre, il y a trois ans, il voulait «mettre son lectorat face aux horreurs que produisent la violence sectaire et leur monter à quel point le désir de vengeance est universel».

Il reconnaît aussi qu’il n’avait pas anticipé que l’ingérence –tout à fait hypothétique à l’époque–d’une puissance étrangère dans la politique américaine, pour exacerber les querelles intestines, pourrait être une réalité. Un sujet qui domine aujourd’hui très largement le débat public aux États-Unis.

Mais la plus grande réussite de ce roman est peut-être de dresser un état des lieux du monde, extrême et redoutable, mais qui nous semble de moins en moins invraisemblable. Et qui dépend, de fait, des choix que nous opérons et des actions que nous menons aujourd’hui.