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Global Columns

Élections générales en Italie: Giorgia Meloni, celle qui a doublé Matteo Salvini sur sa droite

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra et édité par Natacha Zimmermann

Depuis quelque temps, une vidéo datant de 1996, et mettant en vedette une jolie jeune femme au discours pas très joli joli, circule en Italie. Maquillée dans le style des années 1990, assise à l'avant d'une voiture, elle se tourne face à la caméra de France 3 et répond, dans un français relativement correct –quoiqu'un peu chantant–, à une question du journaliste: «Moi, je crois que Mussolini était un bon politicien. […] Tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour l'Italie. Et on ne le trouve pas, ça, chez les politiciens qu'on a eus ces derniers cinquante ans.»

Une trentaine d'années plus tard, cette jeune femme sera très probablement élue cheffe –la première– du gouvernement italien ce dimanche 25 septembre.

Toujours pro-Mussolini?

Aujourd'hui, Giorgia Meloni n'a plus 19 ans et elle n'évoque plus aussi ouvertement son admiration pour Mussolini. Mais elle ne semble guère s'être éloignée de ses idées. Il convient de rappeler que la vie politique italienne ne s'est jamais formellement défaite du fascisme.

En Allemagne, les Alliés ont imposé des mesures rigoureuses qui ont définitivement exclu les ex-nazis du pouvoir. Mais en Italie, les anciens fascistes ont pu se regrouper, à partir de 1946, sous l'égide d'un nouveau parti, le Mouvement social italien.

Il s'appelait encore ainsi en 1992, lorsque Giorgia Meloni a adhéré au Front de la jeunesse, son aile réservée aux jeunes. Depuis lors, ce parti a plusieurs fois changé de nom. Mais ne vous y trompez pas: Fratelli d'Italia, parti dirigé par Giorgia Meloni, est le successeur de celui qui s'inscrivait dans la droite ligne du Parti national fasciste fondé par Benito Mussolini. C'est clair, elle n'a jamais renoncé à l'héritage du Duce.

Le retour du fascisme en Italie?

L'Italie reviendrait-elle donc au fascisme? Pas obligatoirement. Que Giorgia Meloni soit aujourd'hui aux portes du pouvoir a moins à voir avec le néofascisme qu'avec le rejet de la politique par le peuple italien.

Giorgia Meloni n'est que la dernière en date d'une longue série d'outsiders radicaux et populistes qui ont gagné du terrain depuis les années 1990 dans la Botte de la Méditerranée. Elle fait par ailleurs aujourd'hui partie de la même coalition que les dirigeants de deux des trois derniers mouvements antisystème italiens: le vieux Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, chef de la Ligue du Nord, autre parti d'extrême droite.

Avoir réussi à doubler sur sa droite un individu aussi extrême que Matteo Salvini témoigne du talent politique de Giorgia Meloni. Cela montre parallèlement la propension des Italiens à voter pour des personnes qui n'ont jamais exercé le pouvoir. Le seul passage de Giorgia Meloni au sein d'un gouvernement remonte à la période 2008-2011, au poste de ministre de la Jeunesse qu'elle a occupé sous Berlusconi.

Grâce à son statut d'outsider, elle est restée à l'abri des querelles intestines qui ont miné les gouvernements de coalition instables de ces cinq dernières années. Elle a aussi échappé à cette défiance chronique des Italiens à l'égard de leurs gouvernants.

Plus rien n'étonne, ni n'inquiète

Nous sommes en 2022 et il n'y a là plus rien de surprenant pour personne. Avec les percées électorales de l'extrême droite, même en Suède, et les partis radicaux anti-establishment qui convoitent le pouvoir un peu partout en Occident, Giorgia Meloni ne fait plus guère figure d'exception. À l'instar de Marine Le Pen, elle a su présenter en des termes plus acceptables les thèmes traditionnellement chers à l'extrême droite: la xénophobie et le nationalisme chevillé au corps.

Tout a commencé avec Silvio Berlusconi, qui a accédé au pouvoir en 1994 avec des slogans anti-establishment que Giorgia Meloni reprend aujourd'hui à sa manière. C'est Berlusconi qui a donné la preuve de la montée du populisme au sein de l'Europe moderne. C'est lui qui a fait de la polarisation un élément central de sa stratégie politique, et dont le vaste empire médiatique –presse et télé– était à la pointe de la fabrication d'une autre réalité fondée sur la «post-vérité». C'est ce que j'ai appelé la politique des «3P»: populisme, polarisation et post-vérité.

Bien que Berlusconi ait été un précurseur en la matière, chacune des générations successives de radicaux anti-establishment italiens a apporté sa pierre à l'édifice des 3P. C'est pourquoi l'Italie est devenue l'exemple par excellence du mouvement antipolitique en Europe. Une tendance qui pourrait bien aller jusqu'au bout de sa logique extrême: le fascisme.

Et si le danger était réel?

Il est intéressant de noter que ni Washington ni Bruxelles n'ont l'air particulièrement alarmés par l'éventualité que l'Italie devienne une source d'instabilité au cœur de l'Europe. Les responsables politiques américains et européens ont tendance à minimiser le problème en pensant que les présidents du Conseil ne font que passer en Italie: il est vrai que depuis la Seconde Guerre mondiale, le pays en a vu se succéder 69.

Le monde s'est habitué à se rassurer en se disant que les dirigeants italiens verront leurs plans contrariés par un système constitutionnel et politique qui retarde, complique, voire bloque tout. Nombreux sont ceux pour qui Giorgia Meloni ne restera pas très longtemps et ne provoquera pas beaucoup de changements.

Et s'ils avaient tort? Et si, bien qu'elle le taise aujourd'hui, Giorgia Meloni continuait de penser ce qu'elle a dit tout haut en 1996? C'est une question fondamentale pour le monde entier. Les vieilles démocraties de l'Europe sont-elles suffisamment solides pour résister aux assauts répétés de forces qui –de moins en moins secrètement– souhaitent les anéantir?