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Global Columns

Andrés Arauz, l'incarnation du continuisme en Équateur

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Bien qu'associé aux îles Galápagos (qui en constituent une province), recelant trente-deux volcans majestueux dont plusieurs sont actifs et premier producteur mondial de bananes, l'Équateur fait rarement parler de lui dans les médias internationaux. Au contraire du Brésil, du Mexique ou de l'Argentine, les géants du continent latino-américain. L'Équateur est moins instable sur le plan politique que le Pérou voisin et il n'a pas connu les ravages subis par le Venezuela.

C'est un pays d'Amérique latine pour ainsi dire normal: pauvre, inégal, injuste, corrompu et peuplé de gens décents et travailleurs. Sa démocratie est imparfaite, mais elle lutte pour subsister. Ses institutions, fragiles, ont le mérite d'exister. Quant à son économie, classée huitième du continent par le produit intérieur brut (PIB), elle repose sur l'exportation de pétrole, de bananes, de crevettes et d'or. Ainsi que sur les transferts de fonds de la diaspora équatorienne.

Andrés Arauz, le poulain

Ces jours-ci, pourtant, l'Équateur fait les gros titres du fait de l'élection présidentielle qui s'y déroule. Mais, à en croire les analystes politiques, cette fois, le résultat du scrutin équatorien s'inscrit dans une dynamique dont on retrouve les aspects dans le reste de l'Amérique latine.

Le premier d'entre eux est le retour au pouvoir de la gauche. Entre la fin du siècle dernier et le début du XXIe siècle, les présidents de gauche ont eu le vent en poupe: citons, entre autres, «Lula», Chávez, Evo Morales, le couple Kirchner, Michelle Bachelet et Rafael Correa.

Au premier tour de la présidentielle équatorienne, aucun candidat n'a obtenu suffisamment de suffrages pour s'imposer directement, d'où l'organisation d'un second tour prévu pour le 11 avril prochain. Celui qui a engrangé le plus grand nombre de voix (32,71%) au premier tour est le candidat socialiste Andrés Arauz, poulain de l'ex-président Rafael Correa, également socialiste. Une bataille féroce a lieu afin de se qualifier pour le second tour entre deux candidats donnés au coude-à-coude: l'ex-banquier conservateur  Guillermo Lasso et le leader indigène écologiste de gauche Yaku Pérez, lequel dénonce des fraudes. Les résultats officiels donnent un très léger avantage au candidat Guillermo Lasso (19,74%) sur Yaku Pérez (19,38%). Sous l'égide du Conseil national électoral (CNE), les deux hommes avaient accepté le principe d'un recompte partiel des voix dans dix-sept des vingt-quatre provinces du pays, avant que M. Lasso se rétracte. Alors que l'opération qui concerne près de la moitié des bulletins s'annonce dispendieuse, le CNE tarde à en fixer les modalités.

Des candidats de façade

Au menu électoral, donc, nous avons un homme d'affaires qui promet l'efficacité, la croissance économique et l'emploi; un socialiste qui jure qu'il y aura davantage d'égalité ainsi que de justice et moins de pauvreté et un leader issu de la communauté indienne qui fait vœu de défendre les droits des autochtones et de protéger l'environnement.

Voilà un assortiment (l'entrepreneur, le socialiste et le défenseur des indigènes) auquel ont eu droit d'autres pays d'Amérique latine, sans que l'issue en soit imprévisible. Le Brésil a à sa tête un populiste de droite, tandis que le Mexique est dirigé par un populiste de gauche. Des présidents de droite ont gouverné à gauche et vice versa. Une tendance qui devrait se poursuivre.

Mais s'agissant des élections latino-américaines, il convient de noter une constante non négligeable: le recours à des personnalités politiques toutes dévouées. Les chefs d'État sortants qui ne peuvent pas briguer un nouveau mandat ont une fâcheuse tendance à «placer» un membre de leur famille ou un proche collaborateur dans l'espoir de tirer les ficelles en coulisses.

S'il est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle équatorienne, c'est parce qu'Andrés Arauz n'est autre que le protégé de l'ancien président Rafael Correa. Condamné pour corruption, ce dernier ne pouvait pas se représenter à la fonction suprême. Cristina Kirchner a été élue présidente de l'Argentine grâce à son mari Néstor Kirchner (elle a été réélue après la mort de ce dernier). Au Mexique, la députée Margarita Zavala, épouse de l'ex-président Felipe Calderón, était candidate à l'élection présidentielle de 2018 remportée par Andrés Manuel López Obrador. En Colombie, Juan Manuel Santos et Iván Duque ont accédé à la présidence grâce au soutien de l'ancien président Álvaro Uribe. Au Brésil, Dilma Rousseff a été élue présidente grâce à Lula da Silva. Et en Bolivie, c'est fort de l'appui sans réserve et de la popularité de son ancien chef, Evo Morales, que Lucho Arce a remporté la présidentielle.

Seul un mandat unique pourrait sauver la démocratie

Le populisme, de droite comme de gauche –avec ses promesses intenables, son idéologie qui mène toujours à l'échec et ses tendances autoritaires– reste une importante menace. Mais le continuisme politique est plus grave. Quand la démocratie fonctionne, les citoyens peuvent toujours éliminer par les urnes les dirigeants incompétents ou corrompus. Les nations savent surmonter une période marquée par les dégâts d'un mauvais président. Mais ceux-ci peuvent se révéler immenses, voire irréversibles, si ce président malfaisant reste au pouvoir. Ou, si après son mandat, il parvient à l'exercer encore par le truchement d'un homme ou d'une femme de paille.

Il est important d'imposer des limites juridiques qui interdiraient aux dirigeants de prolonger indéfiniment l'exercice du pouvoir. Dans l'idéal, leur mandat devrait durer cinq ans au minimum et six ans au maximum. Un mandat, unique, au terme duquel elles ou ils devraient ne plus pouvoir aspirer à la fonction suprême. Plus jamais.

Cette solution est radicale et imparfaite, mais elle peut tout à fait être adoptée et ses défauts restent tolérables. Hélas, il est plus difficile de combattre un maintien au pouvoir par l'intermédiaire de prête-noms et autres dirigeantes de façade. Mais il reste crucial d'identifier ce phénomène, de le dénoncer et de tenter de l'éradiquer.