Quatre idées sérieusement mises à mal par la pandémie de Covid-19
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Le Covid-19 tue non seulement des femmes et des hommes, mais aussi des idées. Et quand le virus ne les tue pas, il les met à mal. Les idées traditionnelles sur le travail au bureau, le fonctionnement des hôpitaux ou encore des universités, par exemple, ne sortiront pas indemnes de la pandémie et de ses conséquences économiques.
Il en va de même pour certaines idées extrêmement répandues en matière d'économie et de politique. En voici quatre exemples.
1) Les États-Unis sont une source de stabilité pour le monde
Faux. Washington est, en fait, un épicentre important de l'instabilité géopolitique. J'en veux pour preuve la riposte du gouvernement de George W. Bush aux attentats terroristes du 11 septembre, par exemple, qui a provoqué de longues guerres. Plus tard, en 2008, les États-Unis ont exporté une grave crise financière dans le monde entier.
Mais aucune guerre ni crise économique n'a autant porté atteinte au rayonnement international de l'Amérique que Donald Trump. Depuis son élection en 2016, il a montré, presque tous les jours, qu'il préfère favoriser les conflits et attiser la discorde plutôt qu'apaiser le monde et sa nation. Ces derniers mois, ses réactions face à la pandémie ont confirmé que le locataire de la Maison-Blanche est un allié instable, maladroit et peu fiable.
Le grand paradoxe de cette instabilité des États-Unis, c'est que le principal perdant de la dislocation de l'ordre international provoquée par Donald Trump n'est autre que le peuple américain.
2) La coopération internationale fonctionne bien
Hélas, la pandémie a confirmé que la communauté internationale censée pouvoir gérer de manière concertée des menaces mondiales n'existe pas. Les tragédies de la Syrie, du Yémen, du Venezuela ou du peuple rohingya sont autant d'exemples de l'inefficacité de la communauté internationale. Le Covid-19 a en effet montré que la communauté internationale est incapable de coopérer étroitement et de manière coordonnée.
La réponse des pays à cette urgence sanitaire n'a pas été d'agir ensemble, mais de se retrancher derrière leurs frontières respectives. La pandémie aurait dû renforcer l'Organisation mondiale de la santé (OMS), organisation multilatérale imparfaite, mais indispensable. Au lieu de cela, l'administration Trump, convaincue que l'OMS a été prise en otage par le gouvernement chinois, veut se retirer de cette agence de l'ONU plutôt que de diriger une grande coalition internationale pour la réformer.
La méfiance à l'égard de la coopération internationale a également contribué à fragmenter et à rendre plus inefficace la coordination entre les pays en ce qui concerne les normes, la production et la distribution de médicaments ainsi que de matériel médical. Autre paradoxe: l'affaiblissement de la collaboration internationale a fait qu'à une menace mondiale on n'a apporté que des réponses essentiellement locales –et inadéquates.
3) L'austérité budgétaire, une indispensable recette
Cette idée, autrefois très populaire et considérée comme le remède obligatoire à une crise financière, est maintenant toxique. Confrontés à un krach économique, les gouvernements devaient limiter sévèrement leurs dépenses et leurs dettes.
Maintenant, c'est le contraire: dépenser plus et alourdir la dette est la recette à la mode. Partout dans le monde, les dépenses publiques ont atteint des sommets inédits. Le déficit budgétaire, qui correspond à la différence entre, d'une part, la perception des impôts et les autres recettes publiques et, d'autre part, les dépenses publiques, a grimpé en flèche à des niveaux jamais vus jusqu'ici.
Aux États-Unis, par exemple, le déficit budgétaire de cette année atteindra un montant équivalent à 24% du PIB de ce pays. Et l'endettement de presque tous les États a également augmenté. La dette la plus importante au monde par rapport à la taille de l'économie est celle du Japon. Pour leur part, les États-Unis sont les champions du monde en termes de montant absolu d'argent qu'ils doivent rembourser un jour (vingt mille milliards de dollars!). Dans les années à venir, les questions du quand et du comment ces dettes seront payées (et par qui) déclenchera un âpre débat mondial.
4) La mondialisation revisitée
Autre phénomène autrefois idéalisé qui est à présent diabolisé. Comme c'est souvent le cas, ce qui n'était pas une si bonne chose avant la crise n'en est pas une si mauvaise maintenant.
Pour beaucoup, la mondialisation correspond à des flux de produits et de capitaux entre les pays. Pour d'autres, sa manifestation principale –et la plus inquiétante– est l'immigration. En fait, la mondialisation est beaucoup plus complexe que cela. Elle entraîne, bien sûr, une énorme augmentation de la circulation internationale de produits, de services, d'argent et d'informations. Elle implique aussi les activités des terroristes, des groupes trafiquants et criminels, mais aussi celles des scientifiques, des artistes, des philanthropes, des militant·es, des athlètes et des ONG. Sans oublier, bien sûr, la propagation désormais de plus en plus rapide des maladies d'un continent à l'autre…
Les gouvernements peuvent faire obstacle à certains de ces événements ou en stimuler d'autres. Mais nul ne peut supprimer totalement les imbrications de natures nombreuses et variées entre les pays. La pandémie et ses graves répercussions économiques encourageront la recherche et l'adoption de politiques destinées à atténuer les chocs venus de l'extérieur qui secouent périodiquement les pays. Assurément, on assistera à une recrudescence du protectionnisme. Mais les avantages et attraits de certaines facettes de la mondialisation ne disparaîtront pas.
Qu'ont donc en commun ces quatre idées à présent discréditées? Ce sont des piliers importants de l'ordre international qui ont émergé après la Seconde Guerre mondiale. Bien qu'ils soient endommagés, ces piliers peuvent être réparés et améliorés. Ce qui représente un défi majeur pour les années à venir.