L'empire américain n'est pas mort, par Moises Naim
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
C'est terminé. La superpuissance américaine est en chute libre. L'économie des Etats-Unis est dans le rouge, les banques sont en faillite, la dette a atteint des sommets, les industries manufacturières souffrent de la sévère concurrence des pays d'Extrême-Orient.
L'armée américaine est à la fois embourbée dans des pays qu'elle ne comprend pas et largement engagée dans une guerre à mort contre des terroristes du monde entier qu'elle comprend encore moins. Le taux de chômage n'a jamais été aussi élevé aux Etats-Unis depuis un quart de siècle. Quant aux valeurs vedettes, par exemple les actions de General Motors ou de Citicorp, elles sont au plus bas. Incontestablement, le prestige des Etats-Unis a pris un coup. Et son déclin en tant que superpuissance est visible à l'œil nu.
Voilà, de façon condensée, un point de vue qui tend à se généraliser sur le statut des Etats-Unis, ses perspectives et son rôle dans le monde. Je ne le partage pas.
De toute évidence, l'économie, l'influence et le prestige des Etats-Unis subissent l'une des pires dépressions de mémoire d'homme. Mais il semble clair que leurs concurrents sont également dans une mauvaise passe.
On dit que la consolation des malheureux, c'est d'avoir des compagnons de leur misère. En matière d'économie et de politique internationale aussi on ne peut guère se contenter de considérer les maux d'un seul pays. Ceux des autres pays sont d'une importance primordiale. En particulier quand il s'agit de concurrents ou d'alliés majeurs. Or, en ces temps de crise, les autres pays s'affaiblissent davantage que les Etats-Unis.
En 1972, le président Richard Nixon prédisait déjà le déclin de l'hégémonie américaine. Il estimait que les Etats-Unis étaient voués à perdre de leur leadership au profit de la Russie, de la Chine, de l'Europe et du Japon. La réalité a prouvé le contraire.
Depuis peu, une idée très à la mode consiste à dire que les pays émergents du groupe dit BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ainsi que d'autres pays asiatiques, aux côtés d'une Union européenne unie et revitalisée, s'imposeront comme un inévitable contrepoids à Washington.
Le fait est que la crise a frappé tous ces pays plus sévèrement que les Etats-Unis. A l'exception de la Chine, la réaction de la plupart d'entre eux a été plus lente et moins agressive. En outre, avec l'enlisement du Japon, la désunion de l'Europe, la fragilité des économies émergentes - y compris la Chine - et l'impact dévastateur de la chute du prix du brut sur les Etats pétroliers que sont la Russie, l'Iran ou le Venezuela, force est de relativiser la décadence des Etats-Unis.
Malgré les éditoriaux et autres articles d'opinion qui soutiennent que le monde ne veut plus rien savoir du modèle américain frauduleux et inhumain, dans la pratique - et indépendamment des mauvaises nouvelles en provenance de Washington et de Wall Street - les épargnants du monde entier continuent de faire confiance au dollar et aux bons du Trésor américain.
Etes-vous prêt à placer vos économies dans des bons émis par le gouvernement russe ou chinois? Croyez-vous que le Japon est sur le point de se réveiller de sa léthargie économique? Pensez-vous que les mesures de redressement économique des gouvernements européens donneront des résultats avant les initiatives de relance de Barack Obama?
On ne peut pas être certain que l'action d'Obama permettra de sortir l'Amérique de la profonde crise qui l'affecte. Mais le nouveau président des Etats-Unis a assurément réagi très vite. Il a réussi à mobiliser une quantité inimaginable de ressources. De même, il ne fait aucun doute que l'administration Obama opèrera de profonds changements dans le modèle socioéconomique qui a prévalu aux Etats-Unis durant plusieurs décennies. Le secteur financier sera mieux régulé, la sécurité sociale renforcée, les inégalités économiques combattues. L'Etat interviendra davantage dans l'économie et intensifiera sa lutte contre le réchauffement climatique.
De la même manière que les précédents présidents des Etats-Unis, et en particulier George W. Bush, ont donné trop d'importance à l'économie de marché, il est presque certain qu'Obama - en partie contraint par les circonstances - donnera trop d'importance à l'intervention de l'Etat. Nous savons aussi que beaucoup de solutions, parmi celles qui sont mises en œuvre, auront des effets négatifs à l'avenir: elles engendreront notamment une hausse de l'inflation.
Mais une chose est sûre, le nouveau président américain est disposé à utiliser toutes les ressources de son pays pour réactiver les secteurs économique, social, technologique et politique. Bien que le succès ne soit pas garanti, les efforts sont bien réels.