Le Mexique doit suivre l'exemple du Brésil
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Dans les années 1990, les réformes politiques et économiques du Mexique ont été exemplaires. Le pays s'était soudainement libéré d'un hyper-nationalisme qui l'empêchait d'entretenir des relations saines avec le reste du monde, en particulier avec son voisin américain. Il s'était également débarrassé, sans violence, d'un système politique dominé pendant sept décennies par le même parti.
La signature du Traité de libre échange avec les Etats-Unis et le Canada; son entrée dans l'OCDE, le «club des pays riches»; son redressement rapide à la suite du krach financier de 1994; la stabilité économique qui a suivi; son potentiel pétrolier; son attrait touristique; sa grande taille (c'est la 11éme puissance économique du monde) et sa situation géographique privilégiée, avaient fait du Mexique la promesse de l'Amérique Latine. Dans les forums mondiaux et dans la presse, on présentait le Mexique comme la vedette qui incarnait l'espoir.
On méprisait l'autre géant continental, le Brésil, répétant sans cesse et avec sarcasme que le Brésil était le pays du futur... et continuerait de l'être. Pour toujours.
Inversion des roles
Erreur totale. Aujourd'hui, le Brésil représente l'espoir, le Mexique la déception. Il y a comme une impression généralisée que le Brésil décolle tandis que le Mexique est au point mort.
L'année dernière, la croissance économique brésilienne était de 5% alors que l'économie du Mexique n'a crû que de 1%. Avec la Chine et l'Inde, le Brésil est le pays qui a le moins souffert de la crise économique mondiale. Le Mexique est un des pays les plus touchés. Au Brésil, l'emploi est déjà revenu aux niveaux qui prévalaient avant la crise. Ses résultats financiers sont tout aussi surprenants: cette année, les banques brésiliennes ont prêté 60% des crédits accordés dans toute l'Amérique Latine. La Bourse de Rio a gagné 144%. Auparavant, le Brésil quémandait auprès du Fonds monétaire international (FMI). Aujourd'hui le pays prête de l'argent au FMI! Le magnétisme financier du Brésil est tel que le gouvernement, qui cherche à freiner l'énorme flux de capitaux qui entrent dans le pays, vient de mettre en place un impôt sur les investissements étrangers (Le Financial Times, conservateur, a qualifié cette décision de «sage mesure».)
Face à cette nouvelle réalité, les Mexicains sont nostalgiques de l'époque où on parlait de leur succès. Ils envient également le Brésil parce que ce pays est en train de devenir une puissance pétrolière mondiale, tandis qu'une combinaison suicidaire de contraintes juridiques, de politiciens et de syndicats irresponsables empêchent le Mexique de se développer dans ce domaine.
Répartition des richesses
Cette situation est surtout liée au fait que les progrès du Brésil ne sont pas uniquement de nature économique. Ces dernières années, 20 millions de Brésiliens sont sortis d'une misère noire et la répartition des richesses s'est améliorée même si, sur ce point, le pays demeure parmi ceux qui réussissent le moins. Au Mexique aussi la situation sociale s'est améliorée, entraînant une explosion des classes moyennes. Mais ces progrès ont été limités par une croissance économique faible et, plus récemment, par une avalanche de fléaux: violence liée au trafic de drogue, virus H1N1, chute des exportations, des investissements, du tourisme, des ventes de pétrole, entre autres.
En outre, le Brésil a surclassé le Mexique en termes d'influence internationale. C'est un pays d'une importance capitale dans les négociations sur le climat, le commerce, les réformes du système financier et même en matière de non-prolifération nucléaire. D'ailleurs, ce rôle s'est confirmé lors de la crise du Honduras. Le Brésil est intervenu de manière plus décisive que le Mexique, pourtant voisin du Honduras.
Cela ne veut pas dire que Brésil a surmonté tous ses problèmes, dont certains sont considérables. Il est en proie à des tragédies sociales aussi graves voire pires que celles du Mexique. Les criminels brésiliens n'ont rien à envier aux truands mexicains. Par ailleurs, dans les différences entre le Mexique et le Brésil, la chance, la géographie et la géopolitique ont également joué un rôle important. Le gouvernement mexicain n'est pas responsable du fait que la grippe A (H1N1) ait sévi sur son territoire, ce qui a d'ailleurs gravement nuit au tourisme. De même, on ne peut pas lui reprocher que la Chine achète au Brésil de grandes quantités de matières premières et soit un redoutable concurrent des produits fabriqués au Mexique.
Pour l'heure, le fait est que le Brésil devance le Mexique, et ce pour de nombreuses raisons. Mais il y en a une qui, à mon sens, est la principale: les progrès du Mexique ont été entravés par l'omniprésence des cartels. Je ne parle pas des cartels de la drogue, mais des entreprises privées, des syndicats et des groupes politiques, des universités, des médias et des corporations qui limitent la concurrence dans leurs secteurs respectif. Le Mexique regorge de cartels dont beaucoup jouissent de privilèges et de droits de veto qui sont des obstacles au changement dont le pays a besoin pour aller de l'avant.
On ne peut qu'espérer que la concurrence avec le Brésil stimule enfin la concurrence interne au Mexique.