Un Venezuela sans Chavez
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
La moitié de la population vénézuélienne a moins de 25 ans. 50% des habitants du pays n’ont donc connu d’autre dirigeant que Hugo Chavez, le chef d’Etat de l’hémisphère occidental qui détient le record à la tête d’un pays (12 ans). Chavez a clairement fait savoir qu’il briguerait la présidence en 2012, que sa victoire est inexorable et qu’il aspire à rester aux commandes jusqu’en 2031.
Soudainement, un cancer est venu contrarier les plans de Hugo Chavez. Bien que la nature précise de sa maladie demeure encore obscure, le président vénézuélien a laissé entendre qu’elle était grave. Depuis l’annonce de la nouvelle, une lutte acharnée a débuté au Venezuela. Un conflit politique aussi impitoyable que peu visible, non pas entre les partisans du commandant et l’opposition, mais entre les diverses factions chavistes qui se disputent une potentielle succession. Ces querelles intestines se déroulent dans la discrétion. Leurs protagonistes prennent grand soin de ne pas montrer leurs appétences: il serait dangereux que Chavez s’aperçoive de leurs manœuvres visant à le remplacer!
Concentré de pouvoir
Le président vénézuélien a concentré tout le pouvoir entre ses mains – un pouvoir qui ne laisse de place à aucun autre leadership. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pas de successeur évident ni d’institution pressentie pour gérer une éventuelle transition. Figurons-nous un instant un Venezuela post-Chavez. Difficile d’entrevoir un scénario clair avec le rôle de chacun. Une chose est sûre, les factions chavistes – diverses, divisées, riches et dont nombreuses sont armées – tiendront le haut du pavé. S’il devait y avoir une transition, elles auraient une grande influence.
La plus importante de toutes, ce sont les Forces armées vénézuéliennes, loyales à Chavez et cependant déchirées par une fracture voulue et fomentée par lui-même. L’un de leurs chefs, par ailleurs le chouchou du président, est le général en chef Henry Rangel Silva. Il a déclaré que les militaires ne toléreraient de gouvernement d’opposition, quand bien même celle-ci remporterait la présidentielle de 2012. (En 2008, le gouvernement américain a ajouté Rangel Silva à la liste des personnes accusées de «soutien matériel au trafic de drogue».)
Le Venezuela est devenu une plaque tournante d’activités criminelles: blanchiment d’argent, narcotrafic, trafic d’armes, traite d’êtres humains. Des crimes d’une ampleur telle qu’ils bénéficient nécessairement de la collusion de militaires et de civils proches des cercles du pouvoir. Ce groupe lié à la criminalité transnationale organisée, mettra tout en œuvre pour influer sur la succession de Chavez, et s’assurer la tolérance du prochain gouvernement.
La force des armes…
Une autre faction se compose de militaires et de politiques vénézuéliens en relation avec les services de renseignement cubains. Chavez subventionne l’île de Castro en lui versant chaque année 5 milliards de dollars, en comptant les 60% de pétrole que Cuba importe du Venezuela. Pour survivre, le régime de La Havane a besoin d’un allié à Caracas. Tant il est vrai que, dans un processus de succession, ses membres pèseront aussi de tout leur poids.
Les militaires ne sont pas le seul groupe armé. Chavez a créé des milices et d’obscures organisations paramilitaires qui peuvent se mettre en action si la lutte pour le pouvoir donne lieu à de violents affrontements dans les villes populeuses du pays.
…et celle de l’argent
Les armes comptent, mais l’argent aussi! Autre faction pro-Chavez qui devrait également se faire entendre: la bourgeoisie bolivarienne, ou les «bolibourgeois», comme ont les appelle au Venezuela. Il s’agit d’entrepreneurs qui se sont servis de leur réseau – membres du gouvernement et forces armées – pour amasser des fortunes colossales durant le boom pétrolier sous Chavez. Ce sont des intermédiaires indispensables pour toutes les transactions du gouvernement vénézuélien: l’achat d’armes à la Biélorussie, de poulets au Brésil, de tracteurs à l’Iran, les prêts consentis à l’Argentine, etc.
Et l’opposition dans tout ça, quelle place occuperait-elle? L’opposition comprend les catégories de population civile – de plus en plus importantes – défavorables à Chavez. En particulier le mouvement étudiant ainsi qu’une toute une nouvelle génération de jeunes leaders. Leur influence devrait toutefois être limitée, car ils manquent d’armes, de sbires et d’argent. Quant aux Etats-Unis, autre acteur hostile au régime de Chavez, ils sont trop occupés à gérer leurs propres crises.
Enfin, il y a la famille Chavez, surtout Adan , le frère aîné du président. Récemment, il a déclaré: «Il serait impardonnable de se limiter à la voie électorale; il existe d'autres modes de lutte, y compris la lutte armée».
Vivre et vaincre
A l’évidence, il est prématuré de tenir Hugo Chavez pour fini. En cas de rétablissement, il pourrait très bien revenir aux commandes ou gouverner en délégant les décisions du quotidien à des lieutenants de confiance. Chavez a d’ailleurs troqué son obsédante devise «Patrie, socialisme ou mort» pour une autre formule: «Nous vivrons et nous vaincrons». Ses deux priorités du moment!
Il a également lancé un appel, nouveau et révélateur: «Unité, unité, unité!». Curieux que Chavez veuille dorénavant unir ses compatriotes quand on sait à quel point il les a divisés. Ce vœu s’adresse donc à ses sympathisants, aux groupes dont l’unité fait cruellement défaut. Une unité dont Chavez a pourtant besoin pour rester à la tête du pays qui possède les plus grandes réserves pétrolières du monde.