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Global Columns

Un ex-président, ça fait quoi de sa vie?

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Ce n’est pas simple d’avoir été président. Selon une vieille plaisanterie, les ex-présidents, c’est comme les vases chinois: ils ont beaucoup de valeur, mais personne ne sait qu’en faire. De fait, beaucoup de chefs d’Etat ne savent pas non plus que faire de leur vie une fois qu’ils quittent la fonction suprême. Certains continuent de s’imposer un rythme effréné (c’est notamment le cas de Bill Clinton). D’autres, comme Vladimir Poutine, s’arrangent pour ne jamais quitter le pouvoir. D’autres encore, à l’image de Silvio Berlusconi, passent leur temps à manigancer leur retour au sommet de l’Etat.

Ces jours-ci, deux événements quasi simultanés marqués par deux ex-présidents sont venus refléter deux façons très différentes d’assumer le rôle d’«ex». L’attitude de chacun a été on ne peut plus contrastée et édifiante. Il s’agit des deux anciens chefs d’Etat les plus célèbres du Brésil –et ceux qui ont accompli le plus dans ce pays: Fernando Henrique Cardoso (dit FHC) et Luiz Inacio Lula da Silva (dit Lula). Les deux hommes se sont retrouvés sur la scène publique internationale pour des raisons très différentes.

Cardoso encensé

FHC a remporté le prix Kluge, la plus prestigieuse récompense dans le domaine des sciences sociales, décerné par la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis. Son processus de sélection est aussi sinon plus rigoureux que celui du prix Nobel, et sa dotation équivalente: un million de dollars.

Le jury a précisé que ce prix récompensait les apports intellectuels de FHC, qui était un éminent sociologue avant de faire de la politique. Il a contribué, par ses idées neuves, à l’analyse des inégalités et du racisme dans les pays sous-développés. Il est également le père de la théorie de la dépendance, selon laquelle le sous-développement est en partie imputable à l’exploitation des pays pauvres par les pays riches. Cette idée, très en vogue dans les années 1970 et 1980, a perdu en crédibilité. Du reste, son auteur lui-même reconnaît que le monde a tant changé que ses propres conclusions ne sont plus valables.

Lula insensé

Presque au moment où FHC recevait son prix, Lula intervenait par vidéoconférence dans le cadre du Forum de São Paulo, un mouvement de gauche latino-américain, fondé en 1990 sous les auspices du Parti des travailleurs (PT) du Brésil. Lula s’est adressé aux participants réunis à Caracas (Venezuela):

«C’est grâce à la présidence de Chavez que le peuple a acquis des biens extraordinaires. Les classes populaires n’avaient jamais été traitées avec autant de respect, d’affection et de dignité. Ces acquis doivent être préservés et consolidés. Chavez, vous pouvez compter sur moi, sur le PT et sur la solidarité et le soutien de tous les militants de gauche. Chaque démocrate et chaque Latino-Américain est derrière vous. Votre victoire sera notre victoire

Il est parfaitement légitime que Lula exprime son affection et son admiration pour le président sortant vénézuélien, Hugo Chavez. L’affection, tout comme l’amour, est aveugle, et on ne peut que le respecter. Ce qui n’est pas normal, c’est que Lula s’ingère dans la campagne électorale d’un pays étranger. Les démocrates ne font pas une chose pareille, Lula le sait. Mais qu’importe, il récidive.

A la veille d’un référendum crucial au Venezuela, il a fait irruption dans le processus électoral pour affirmer que Chavez était le meilleur président que le Venezuela ait connu depuis cent ans. Il n’est pas non plus normal de déformer la réalité vénézuélienne comme l’a fait Lula, en particulier celle des pauvres.

Le fait est que la politique d’Hugo Chavez a eu un effet catastrophique pour les Vénézuéliens les plus défavorisés. Ce sont eux qui font les frais d’une inflation record. Qui doivent faire avec un salaire réel qui est retombé au niveau de 1966! Ce sont eux qui sont au chômage, à moins de trouver un poste dans la fonction publique, et à condition de montrer ostensiblement leur adoration pour le «commandant». Ce sont eux dont les enfants sont assassinés dans ce pays au taux de criminalité parmi les plus élevés au monde.

Chavez sanctionné

Il n’est guère surprenant que Chavez ait essuyé un vote sanction à la dernière législative, plus de la moitié des suffrages ayant été crédités à l’opposition. Au Venezuela, il est impossible de réaliser un tel score sans bénéficier des millions de voix des plus pauvres. Ceux-là même qui, selon Lula, se portent mieux que jamais. Enfin, il n’est pas normal non plus que Lula applaudisse des politiques publiques d’un autre pays, diamétralement opposées à celles qu’il a lui-même mises en œuvre avec succès au Brésil.

Puisqu’il s’était inspiré de son prédécesseur dans les politiques qu’il a menées, Lula ferait bien aussi de prendre exemple sur Cardoso en ce qui concerne son attitude d’ex-président. Le Cardoso politique. Celui qui sait qu’un vrai démocrate n’use pas de son prestige pour intervenir de manière abusive dans le scrutin d’un autre pays.