Sceptiques du climat et du tabac même combat
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
En 1953, les cigarettiers américains publiaient dans tous les journaux du pays un article intitulé «Franche déclaration aux fumeurs de cigarettes». Les messages de ce texte persuasif soutenaient que fumer ne nuit pas à la santé et que cette affirmation s'appuyait sur des bases scientifiques. En 1957, le directeur scientifique du conseil pour la recherche sur le tabac (CTR) écrivait: «La cause de n'importe quel type de cancer est compliquée et difficile à analyser (...) Malgré toute l'attention portée sur l'accusation que fumer provoque le cancer du poumon, personne n'a prouvé que la fumée de cigarette ou un de ses composants est à l'origine du cancer.»
La stratégie centrale du CTR était de financer les scientifiques qui insistaient sur la diversité des facteurs à l'origine du cancer et d'éviter qu'on impute au tabac sa véritable responsabilité. L'objectif était de créer la confusion, le scepticisme et la controverse, et de susciter «un débat scientifique sain» sur la question. Les fabricants de tabac sont longtemps parvenus à leur fin. Les journalistes, qui d'une part adorent les polémiques et, d'autre part, se doivent d'exposer les points de vue divergents, ont accordé aux deux parties un espace et un respect équitable.
Le problème, c'est qu'en 1950, il existait déjà des preuves irréfutables de la relation entre la cigarette et le cancer du poumon. Il a fallu attendre plusieurs dizaines d'années pour que la malhonnêteté des cigarettiers et des scientifiques à leur solde apparaisse au grand jour. Et pour qu'enfin le lien entre le tabac et le cancer cesse d'être contesté.
Un demi-siècle plus tard, c'est le même combat. A la différence que la polémique ne se joue plus entre les scientifiques qui disent que fumer provoque le cancer et les sceptiques, mais entre ceux qui croient que le changement climatique est lié aux activités de l'homme - notamment l'industrialisation ou la déforestation - et ceux qui nient ces modifications environnementales. Le parallèle entre les deux situations est frappant: les stratégies et même les petites phrases qu'emploient les sceptiques du changement climatique sont incroyablement similaires à celles des défenseurs du tabac.
Tous ceux qui remettent en question le changement climatique peuvent faire leurs la phrase prononcée en 1953 par le directeur scientifique du CTR en remplaçant simplement le mot «cancer» par «changement climatique»: «La cause de n'importe quel type de changement climatique est compliquée et difficile à analyser», diraient-ils.
Et voici leur stratégie: la première ligne de défense consistait à dire que le changement climatique n'existe pas. Des données incontestables ayant achevé de démolir cette théorie, l'argument de remplacement était qu'il n'y a pas de preuves que les activités humaines sont à l'origine de ces changements (et que, par conséquent, il n'y a rien à faire). Cet argument a lui aussi a été mis à mal par une avalanche de preuves scientifiques, si bien que les climatosceptiques se sont rabattus sur l'idée que les variations climatiques tiennent à de nombreux facteurs et que les activités de l'homme ne sont qu'un d'entre eux - et pas le plus important.
L'unique différence avec la polémique autour du «tabac source de maladies» est la multiplicité des groupes d'intérêts qui soutiennent les climatosceptiques. La confusion semée autour des effets du tabac était le fait des seules sociétés productrices de tabac. Mais les climatosceptiques bénéficient du financement de beaucoup de mécènes très généreux: les entreprises pétrolières, gazières, charbonnières, le secteur de l'électricité, les groupes automobiles, entre autres...
Le dernier succès qu'ont remporté les sceptiques est la publication des échanges d'e-mails du Centre de recherche sur le climat de l'Université britannique d'East Anglia. Selon les sceptiques, le contenu de ces messages montre que ces scientifiques ont manipulé leurs données et que les conclusions de toutes leurs études sont par conséquent erronées. Mais quand bien même cette manipulation serait avérée, les conclusions fondamentales sur le réchauffement de la planète demeurent inchangées. Selon la prestigieuse revue Climate, «Rien dans ces courriers électroniques ne sape les bases scientifiques qui prouvent que le réchauffement de la Terre est une réalité (...) Cet argument s'appuie sur des preuves multiples et solides, y compris beaucoup de preuves complètement indépendantes des données discutées dans ces e-mails».
Ce qui nient la réalité du changement climatique n'en ont rien à faire. A leurs yeux, les e-mails du «Climategate» sont la confirmation que le changement climatique est une grande supercherie. «Ce scandale permet évidemment de remettre en cause les propositions qui seront faites à Copenhague. J'ai toujours estimé que les décisions doivent se baser sur des données scientifiques et pas politiques (...) Sans des résultats scientifiques fiables et étant donné les enjeux élevés, nous devons prendre avec beaucoup de prudence les résultats de cette conférence politisée». C'est ce qu'a écrit une climatosceptique qui vient mettre en doute le travail de milliers de scientifiques qui ont consacré leur vie à étudier les climats. Mais qui est-ce donc? Ce n'est autre que Sarah Palin, la pire écologiste qui soit!