Pourquoi les terroristes sont souvent des ingénieurs
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Quelle est, selon vous, la principale cause du terrorisme islamique? Serait-ce la pauvreté, l'injustice, l'absence de démocratie, le désespoir, le conflit israélo-palestinien, la religion, une cause inconnue...? La réponse à cette question est aussi essentielle que surprenante. Elle est essentielle parce que tant que nous ne comprendrons pas les causes du terrorisme islamique, il nous sera impossible d'y remédier. Et elle est surprenante parce que, en réalité, nous ne savons pas grand-chose sur les raisons qui poussent un individu à mener un attentat-suicide pour tuer des innocents.
La cause première du terrorisme islamique reste inconnue
Si le terrorisme était lié à la pauvreté et à l'inégalité, le monde serait rempli de terroristes brésiliens. Et si la démocratie était un antidote efficace, l'Inde, la plus grande démocratie du monde, devrait subir moins d'attentats que des dictatures comme la Chine ou la Lybie. Or, au contraire, les démocraties sont plus vulnérables aux attentats terroristes que les régimes autoritaires. Par ailleurs, si la cause du terrorisme résidait dans le conflit arabo-juif, pourquoi diable des kamikazes font-ils sauter des écoles de filles en Afghanistan? Et pourquoi des sunnites irakiens se font exploser dans des marchés fréquentés par de nombreux chiites?
La religion n'offre pas non plus d'explication satisfaisante. Jessica Stern, chercheuse à l'Université de Harvard, nous apprend que le gouvernement saoudien a interrogé des milliers de terroristes capturés pour connaître leurs motivations. Il s'avère que l'écrasante majorité d'entre eux n'avaient pas reçu une éducation religieuse très poussée et que leur compréhension de l'islam était très limitée. Ainsi, 25% des participants aux programmes de réhabilitation des terroristes en Arabie saoudite ont des antécédents judiciaires, et seuls 5% avaient été très actif sur le plan religieux. Les groupes de terroristes, comme dans tout autre groupe d'hommes, présentent une grande variété et une certaine complexité. En règle générale, on dispose de peu d'éléments fiables sur le milieu type dont sont issus les terroristes ou sur leur profil psychologique. On sait seulement que nombre d'entre eux sont ingénieurs.
Beaucoup de terroristes musulmans ont une formation d'ingénieur
C'est la surprenante conclusion d'un article récemment publié dans le European Journal of Sociology, intitulé: «Pourquoi il y a tant d'ingénieurs chez les islamistes radicaux». Diego Gambetta et Steffen Hertog soulignent que «chez les islamistes violents, les ingénieurs sont surreprésentés; ils sont entre trois et quatre fois plus nombreux que [les terroristes] ayant d'autres parcours.» Les auteurs ont étudié les antécédents de plus de 400 membres de groupes d'islamistes radicaux violents dans plus de trente pays du Proche-Orient et d'Afrique. Ils ont d'une part confirmé les résultats d'études antérieures: les terroristes ont généralement des revenus et un niveau d'éducation supérieurs à ceux de la moyenne de leur pays. D'autre part, ils ont constaté que 44% des islamistes violents sont des ingénieurs ou des étudiants en école d'ingénieurs. Dans les pays d'origine des sujets, les ingénieurs sont très rares: moins de 3,5 % de la population. Dans les groupes terroristes islamiques, en revanche, ils constituent presque la moitié des membres. En seconde position des disciplines les plus étudiées, viennent les études de l'islam, suivies de la médecine, des sciences et des sciences de l'éducation, chacune associée à des taux bien plus faibles (en comparaison des 44 % de l'ingénierie). Plus étonnant encore, parmi les terroristes islamiques nés et élevés dans des pays occidentaux, 60 % ont fait des études d'ingénieur.
Comment expliquer ce phénomène?
Gambetta et Hertog examinent et écartent diverses hypothèses, y compris le fait que les compétences pointues des ingénieurs puissent être un critère idéal pour ceux qui recrutent les terroristes ou qu'il s'agit peut-être d'une coïncidence. Les chercheurs en concluent que la surreprésentation des ingénieurs est due à l'interaction de la «mentalité» des ingénieurs avec certaines conditions socioéconomiques qui caractérisent les pays islamiques. Ces auteurs pensent que les études d'ingénieur attirent des personnes qui préfèrent des réponses claires et des modèles mentaux qui laissent peu de place à l'ambigüité. Dans les universités américaines, par exemple, la probabilité d'être religieux et conservateur est sept fois plus grande dans les écoles d'ingénieurs que dans les universités de sciences humaines.
Gambetta et Hertog expliquent que la structure mentale des ingénieurs et les idées qui nourrissent les terroristes islamistes radicaux sont très similaires. Cette tendance est renforcée par le fait que les ingénieurs - intelligents et ambitieux - se radicalisent face à la stagnation, au chômage des jeunes et à la répression politique, des situations courantes dans les pays musulmans.
Les explications de ce phénomène des terroristes-ingénieurs font polémique. Ce qui fait consensus, c'est qu'il y a effectivement beaucoup d'ingénieurs parmi les terroristes islamiques. On a beaucoup d'idées préconçues, on raconte beaucoup d'anecdotes et on fait beaucoup de généralisations au sujet des terroristes musulmans... Mais les données scientifiques incontestables font cruellement défaut.