Malala et Savita: l'obscurantisme n'est pas un souvenir du Moyen-Age
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Malala Yousafzai et Savita Halappanavar. Il ne s’agit pas d’un virelangue, ce sont les noms de deux personnes différentes à tous points de vue, mais dont l’histoire a un point commun: elle met en lumière des aspects aussi tragiques qu’encourageants de notre monde, à l’aube du XXIe siècle.
Malala Yousafzai est une Pakistanaise de 14 ans. Il y a un mois, alors qu’elle rentrait de l’école en autobus, elle a reçu une balle qui lui a traversé la tête et le cou, pour finalement se loger dans son épaule. Elle a survécu par miracle et se trouve aujourd’hui en convalescence dans un hôpital du Royaume-Uni. Son péché? Militer en faveur de l’éducation des jeunes filles.
Ehsanullah Ehsan, porte-parole des talibans pakistanais, qui ont revendiqué cet attentat, a expliqué que Malala était «le symbole de l’infidélité et de l’obscénité». Il a précisé que si elle survivait, ils essaieraient encore de la tuer. Ils veulent aussi tuer son père, Ziaudinn, à qui ils reprochent d’avoir manipulé la jeune fille.
La première preuve du lavage de cerveau effectué par le père remonterait à 2009. Malala n’avait alors que 12 ans. A la demande d’un journaliste de la BBC, elle a créé un blog dans lequel elle raconte sa vie sous le régime des talibans, qui contrôlaient à l’époque la vallée de Swat (dont fait partie Mingora, sa ville natale). Ils avaient interdit aux jeunes filles d’aller à l’école et ont d’ailleurs fermé –ou parfois simplement incendié– plusieurs établissements scolaires.
Quand l’armée pakistanaise eut repris le contrôle de Swat, Malala s’est érigée en perspicace et convaincante dénonciatrice des talibans. Elle s’est engagée pour que la société et l’Etat pakistanais se mobilisent d’urgence autour de l’éducation des jeunes filles. Aux yeux des talibans, quiconque défend ces idées mérite de mourir.
L’attentat contre Malala a suscité l’indignation de l’opinion internationale et, fait plus important encore, il a ouvert un débat indispensable au Pakistan.
Savita Halappanavar «insauvable» conformément à la loi
Savita Halappanavar était une charmante dentiste indienne de 31 ans qui vivait à Dublin. En principe, la vie en Irlande devrait être moins dangereuse pour une jeune femme que dans la vallée de Swat. Cependant, un obscurantisme semblable à celui qui a justifié la tentative d’assassinat de Malala a causé la mort de Savita.
Enceinte de 17 semaines, la jeune femme a commencé à ressentir de très fortes douleurs. Son époux l’a accompagnée à l’hôpital (hôpital universitaire de Galway, dans l’ouest de l’Irlande). Le diagnostic était évident et, du point de vue médical, le traitement indiqué l’était aussi. Mais la logique scientifique s’est heurtée à des interdits juridiques... qui ont fini par provoquer la mort de Savita.
En effet, les médecins avaient conclu que le fœtus n’était pas viable et qu’elle accoucherait d’un enfant mort-né. Terrassée par la nouvelle, Savita s’était finalement résignée, si bien que le couple a demandé aux médecins de pratiquer un avortement. Mais le personnel médical a refusé, expliquant que la loi interdisait toute interruption volontaire de grossesse tant que le cœur du bébé continuerait à battre. Il fallait donc patienter. Malgré les vives protestations et le désespoir du couple, ils ont dû attendre... Le cœur du fœtus a cessé de battre un mercredi. Celui de Savita le samedi suivant.
L’autopsie a révélé qu’elle était décédée d’une septicémie, une infection généralisée de l’organisme. Praveen Halappanavar, le mari de la défunte, a déclaré lors d’une interview à la BBC:
«C’était notre premier enfant, elle était aux anges... Elle était si heureuse et émue, et tout allait bien. Il ne fait aucun doute que Savita serait en vie aujourd’hui si elle avait pu interrompre cette grossesse qui l’a tuée!»
Comment peut-on vouloir protéger en priorité un fœtus qui de toute façon n’est pas viable et n’a aucun espoir de survie, sans se préoccuper d’une jeune mère de 31 ans en parfaite santé?!
L’heure de tirer les conséquences
La tentative d’assassinat contre Malala ainsi que le décès de Savita, qui s’est produit «pour des motifs légaux», a soulevé un tollé international. Bien que ce ne soit pas suffisant pour changer radicalement les choses au Pakistan ou en Irlande, ces deux tragédies ont tout de même enclenché un mouvement encourageant.
Les politiques irlandais se sont vus contraints de promettre la réforme des lois qui ont empêché de sauver Savita. Et, au Pakistan, il est devenu plus difficile de défendre l’idée selon laquelle les filles ne doivent pas être scolarisées.
Beaucoup de progrès restent à faire. Tant il est vrai que ces deux drames sont venus rappeler au monde entier que l’obscurantisme n’est pas typiquement moyenâgeux. Le phénomène est encore très présent et continue, au XXIe siècle, de faire des victimes.