Les renationalisations argentines sont une calamité
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
L’Argentine est le pays qui compte le plus grand nombre de psychologues par habitant. Cette donnée m’est venue à l’esprit quand la présidente Cristina Fernández de Kirchner a annoncé qu’elle nationaliserait Repsol-YPF, la principale compagnie pétrolière du pays. Partout dans le monde, les psychothérapeutes essaient d’aider leurs patients à modifier des habitudes qui nuisent à leur santé (se droguer, fumer, etc.) ou des fonctionnements qui les font souffrir (choisir une compagne ou un compagnon qui ne leur convient pas, accepter d’être maltraité, etc.). Sigmund Freud a appelé la tendance à reproduire des schémas qui affectent le sujet la «compulsion de répétition».
Une décision fustigée… à l’étranger
Le projet de nationalisation de Repsol-YPF a soulevé un tollé dans le monde entier, sauf en Argentine. Des enquêtes d’opinion révèlent qu’une immense majorité d’Argentins soutient cette nationalisation. C’est curieux quand on sait que l’Argentine a une longue et sombre histoire de nationalisations, dont les seules conséquences se résument à des pertes, de la corruption et de la misère. En fait, YPF était au départ une entreprise publique très mal gérée qui, comme beaucoup d’autres, a été privatisée.
Il convient de préciser que les privatisations qui ont eu lieu en Argentine n’ont guère produit de miracles. La vente d’actifs publics au secteur privé était une formidable occasion de toucher des pots-de-vin. Et, une fois privatisées, les entreprises ont été soumises à des règles insolites –une véritable catastrophe.
Pourtant, les Argentins savent (ou devraient savoir) ce qui se passe lorsque leur gouvernement se mêle de la gestion d’une société. L’an dernier, la compagnie des eaux de Buenos Aires, la compagnie aérienne Aerolineas Argentinas et diverses entreprises d’électricité qui avaient été privatisées dans les années 1990 ont été renationalisées. Les motifs étaient alors similaires à ceux invoqués aujourd’hui par la présidente argentine pour justifier la prise de contrôle de Repsol par l’Etat.
Ces renationalisations ont porté un grave préjudice aux entreprises: non seulement leurs services et leur fonctionnement en général a empiré, mais elles accusent de surcroît d’énormes pertes dont les contribuables font les frais. Dans un entretien accordé au journaliste Charles Newbery, Jorge Colina, un économiste employé par l’Institut pour le développement social de l’Argentine, explique que les subventions publiques versées à ces trois entreprises l’an passé étaient 80% supérieures aux dépenses publiques consacrées à un programme de bien-être de l’enfant.
Regarder ailleurs
Les Argentins qui applaudissent la nationalisation de Repsol-YPF feraient bien, non seulement de tirer des leçons de la situation des entreprises nationales gérées par leur gouvernement, mais aussi d’observer ce qui se passe chez leurs voisins. Les exemples des compagnies mexicaine Pemex et vénézuélienne PDVSA sont édifiants. Ces deux géants pétroliers ont bien plus en commun que le simple fait d’être des entreprises d’Etat ou de détenir un quasi-monopole sur l’exploration et la production pétrolière et gazière dans des pays riches en hydrocarbures. Leur similitude la plus frappante est la suivante: malgré des cours du baril en constante hausse, ces deux entreprises enregistrent des résultats à la baisse. Leur production, leurs réserves et leur potentiel sont à présent inférieurs; quant à leur rendement, il pourrait facilement être largement amélioré.
Des investissements inadaptés, une mauvaise gestion, un accès insuffisant aux nouvelles technologies, des relations conflictuelles avec les partenaires étrangers (allant jusqu’au rejet total), sont autant de dysfonctionnements qu’elles partagent. Il faut y voir les effets d’une politisation insidieuse. Au-delà du copinage et du clientélisme qui sapent leur capacité à fonctionner efficacement, leurs gouvernements respectifs ont instauré des taxes, réglementations et contrôles des prix qui entravent un bon fonctionnement de ces entreprises renationalisées et, dans certains cas, les obligent à s’engager dans des activités sans lien avec leur mission principale.
Comment mieux gérer les nationalisations?
Ailleurs en Amérique latine, les nationalisations n’ont pas si mal fonctionné. Le gouvernement argentin aurait pu s’inspirer de la situation du Brésil ou de la Colombie en la matière. Ces deux pays étaient, jusqu’à encore récemment, des importateurs d’hydrocarbures. Aujourd’hui, la société brésilienne Petrobras est un acteur mondial en passe de devenir l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde, tandis qu’en Colombie, la production pétrolière a explosé. Dans les deux cas, le gouvernement s’est assuré un rôle central, mais il a créé des structures qui protègent l’entreprise et sa gestion des interférences politiques.
Il paraît évident que l’expérience de l’Argentine et celle des pays étrangers n’a pas beaucoup pesé sur la décision de la présidente Fernández de Kirchner. En outre, la nationalisation de Repsol-YPF ne semble pas faire partie d’une stratégie de développement, d’un plan énergétique ou d’une vision plus large pour l’avenir de son pays.
Pour nous aider y voir plus clair dans les décisions du gouvernement argentin, Sigmund Freud serait peut-être plus utile que Karl Marx. Mais s’en remettre à Freud implique d’accorder une grande place à l’inconscient, qui dicte les comportements. Or, en l’occurrence, il est clair que Cristina Fernández de Kirchner est tout à fait consciente de ses motivations. Et je doute qu’elles soient liées à Marx ou à la promotion des intérêts du peuple argentin.