Le capitalisme d'Etat chinois a créé une classe de super riches
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Comme chaque année, le magazine Forbes a publié son classement des personnes les plus riches du monde . Le hasard fait que, au même moment, bien loin des bureaux newyorkais de ce prestigieux magazine économique, se déroulait un autre événement annuel: la réunion de l’Assemblée nationale populaire (ANP) de Chine. Il s’agit officiellement de l’organe suprême de l’Etat chinois, qui représente le pouvoir législatif du pays. Curieusement, ces deux faits sont liés. La liste des délégués de l’ANP comprend presque toutes les plus grosses fortunes de Chine. D’ailleurs certaines d’entre elles figurent aussi au classement annuel de Forbes.
Un immense parlement
Composé de 2.987 députés, l’ANP est le plus gros parlement du monde. Ses réunions dans le Grand Palais du peuple, situé sur la légendaire Place Tiananmen de Pékin, font couler beaucoup d’encre. Non pas pour les décisions qui y sont prises, car cet organisme est plus symbolique qu’autre chose et n’a guère de pouvoir dans la pratique. Il se trouve que sa séance plénière annuelle coïncide avec la réunion d’une autre institution dont le nom est très prestigieux, mais le pouvoir très restreint: la Conférence consultative politique du peuple chinois.
Si ces rencontres annuelles sont importantes, c’est parce que les véritables dirigeants du pays y prononcent des discours pour partager leurs priorités et leurs inquiétudes avec les Chinois et le monde entier. Ainsi, le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, a fait savoir lors de cette réunion que la Chine devait mener d’urgence des réformes. Il a reconnu que les inégalités et la corruption étaient des problèmes majeurs en Chine et que son pays allait maintenant entrer dans une phase de croissance plus lente.
La «semaine de la mode pékinoise»
La réunion de l’ANP a également fait parler d’elle en raison de l’élégance de ses représentants. La journaliste Louisa Lim a attiré notre attention sur le magnifique ensemble de la déléguée Li Xiaolin (un Emilio Pucci d’une valeur de 2.000 dollars) ou encore le sac Alma, un modèle de la maison Louis Vuitton (2.500 dollars), de la députée Cheng Ming Ming. Il me semble pertinent de préciser que madame Li est la fille de l’ancien Premier ministre Li Peng et que madame Cheng, qui avait assorti à son sac Vuitton un ostentatoire manteau de fourrure, est la patronne d’une des plus grandes entreprises chinoises de cosmétiques.
Des députés de certaines minorités ont même combiné une tenue traditionnelle à de petits sacs Burberry à 800 dollars. La blogosphère chinoise, en pleine effervescence et de plus en plus audacieuse, n’a pas manqué de qualifier l’événement de «semaine de la mode pékinoise».
La probabilité que ces sacs, tailleurs ou ceintures soient des contrefaçons est plutôt faible: les députés de l’Assemblée nationale populaire de Chine peuvent s’offrir le luxe des originaux. Leur opulente élégance reflète leur immense fortune. Selon l'agence Bloomberg , en 2011, le patrimoine personnel des 70 délégués les plus riches a atteint les 90 milliards de dollars – soit 11,5 milliards de dollars de plus qu’en 2010.
L’Etat permet d’amasser des fortunes
Les délégués à la Conférence consultative politique du peuple chinois sont encore plus riches: le patrimoine personnel de chacun d’entre eux dépasse le milliard et demi de dollars (une hausse de 14% en comparaison de l’année dernière). Pour remettre ce chiffre en contexte, il suffit de savoir que le revenu moyen par habitant en Chine est de seulement 4.200 dollars par an. Bien que le revenu par habitant en Chine ait doublé par rapport à l’an 2000, il reste inférieur à celui de pays pauvres comme l’Afrique du Sud ou le Pérou.
La présence des Chinois super-riches dans ces organes de l’Etat date d’une décision délicieusement ironique: il y a dix ans, le secrétaire du Parti communiste, Jiang Zemin, a décidé de permettre aux «capitalistes» de devenir membres du parti. Si de nombreux riches y ont adhéré, il est également vrai que beaucoup de membres du parti se sont enrichis.
«C’est l’histoire de l’œuf et la poule: sont-ils puissants politiquement parce qu’ils sont riches, ou sont-ils riches parce qu’ils ont une forte influence politique?»
C’est la réflexion que se fait Rupert Hoogewerf, l’éditeur du magazine Hurun Report qui publie une liste annuelle des 1.000 Chinois les plus fortunés. Le magazine Forbes et sa liste des personnes les plus riches peut aider monsieur Hoogewerf à répondre à la question qu’il se pose. En étudiant comment les personnes les plus riches ont amassé leur fortune, il apparaît clairement qu’elles l’ont fait sous l’égide (pour dire le moins) des gouvernements. Dans beaucoup de pays, l’Etat, et non le marché, demeure la voie d’accès des richesses colossales. A cet égard, la Chine ne fait pas figure d’exception.