Israël isolé, la Palestine souveraine
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Que se passerait-il si la Palestine proclamait son indépendance? Ce ne sont ni des spéculations, ni un scénario tiré par les cheveux. C'est ce que Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, a promis s'il ne parvient pas à trouver un accord avec Israël.
D'ailleurs, à Washington et dans d'autres centres de pouvoir, une rumeur persistante laisse entendre que la déclaration d'indépendance de la Palestine est une possibilité réelle et imminente. Et que, étant donné l'isolation politique d'Israël sur le plan international, la détérioration de ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis et la popularité de la cause palestinienne dans le monde, bon nombre de pays s'empresseraient de reconnaître le nouvel Etat palestinien.
La stagnation du processus de paix au Proche-Orient, l'absence d'une «feuille de route» crédible qui puisse donner un espoir de progrès dans les relations entre Palestiniens et Israéliens, la futilité des actions de George Mitchell, le médiateur américain pour le Proche-Orient nommé par Obama deux jours après son arrivée à la Maison Blanche et, surtout, la faiblesse politique du gouvernement israélien et de l'autorité palestinienne sont, entre autres, les conditions qui rendent plausible une déclaration unilatérale d'indépendance de la part des Palestiniens. Cela ne règlerait pas le conflit israélo-palestinien. Mais, de toute évidence, la situation serait différente.
Un facteur qui a contribué à rendre ce scénario possible est la fragmentation politique interne dont souffre Israël et les conséquences qu'elle comporte en termes d'isolation internationale. Théoriquement, la démocratie veut que les gouvernements représentent les points de vue et préférences du plus grand nombre. Dans la pratique, il n'est pas rare que le gouvernement s'attache plus à défendre des petits groupes d'intérêts qui font beaucoup de bruit et non à faire primer l'intérêt général.
Ainsi, un groupe politique peut acquérir une forte influence grâce à la passion de ses partisans, une influence non proportionnelle au nombre de ses militants. Cela a cours depuis bien longtemps déjà dans l'Etat hébreu, où des groupes religieux conservateurs, des colons ainsi que d'autres secteurs extrémistes font en sorte que leurs priorités, et non celles de la majorité, définissent les politiques du pays.
Un exemple récent: alors que le vice-président américain, Joe Biden, était en visite en Israël pour promouvoir les négociations avec la Palestine, le gouvernent israélien a annoncé et autorisé la construction de 1.600 nouveaux logements à Jérusalem-Est - une initiative plus que controversée et dénoncée à Washington. «En voyant cela, je me suis demandé si les leaders [d'Israël] croyaient vraiment qu'un Iran doté de bombes nucléaires menacerait la survie d'Israël», m'a confié un haut responsable de la Maison Blanche. «Nous sommes le principal allié d'Israël, et sans nous il ne pourra pas empêcher l'Iran d'acquérir des armes nucléaires. Mais pendant que nous nous efforçons de convaincre la Chine et la Russie de soutenir les sanctions que nous voulons infliger à l'Iran, les responsables politiques israéliens semblent ne s'intéresser qu'à faire construire plus de maisons pour quelques colons».
On peut faire une autre analyse de cet incident. Les colons et leurs représentants politiques ont simplement pris en otage la bureaucratie israélienne et réussi à l'amener à réaliser quasi aveuglément ses ambitions, sans prendre en compte les priorités nationales. Selon cette logique, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a été tout aussi surpris de l'annonce de ces nouvelles constructions que son interlocuteur, Joe Biden. Une minorité radicale passionnée pousse donc le pays dans une direction qui ne fait pas l'unanimité de la population laquelle, lassée de la politique et désillusionnée de ses dirigeants, se contente d'un incroyable succès économique national et de la réduction spectaculaire des attentats terroristes depuis l'érection d'un mur autour des territoires palestiniens. En somme, les Israéliens laissent des extrémistes qui ne les représentent pas définir le cap politique de leur pays.
Politiquement, Israël paye le prix d'une telle situation en étant de plus en plus isolé. Dans beaucoup de pays, soutenir l'Etat hébreu est synonyme de danger politique. Tandis que plaider la cause palestinienne est devenu bénéfique.
Pour toutes ces raisons, les Palestiniens sont tentés par une déclaration unilatérale d'indépendance; et cette initiative leur paraît viable. Ce geste dépasserait le simple symbole. Selon Daniel Levy, un Israélien qui a pris part à plusieurs négociations avec les Palestiniens, «le problème n'est pas la déclaration d'indépendance, c'est ce qui se passera le lendemain». Les Palestiniens resteraient divisés en deux factions ennemies. Par ailleurs, cela n'apporterait aucun progrès sur les trois points épineux de négociation avec Israël: la question des frontières, Jérusalem et le retour des réfugiés palestiniens. Sans compter que l'Iran conservera ses visées de contrôle sur la Palestine. En revanche, on peut être sûr qu'un tel événement engendrera la spécialité de cette minuscule région de la planète: des espoirs qui se transforment très vite en frustrations...