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Global Columns

Haïti: cinq leçons à méditer

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

L'année 2010 restera dans les annales comme la plus tragique de l'histoire de Haïti. Mais c'est également l'année au cours de laquelle la plus grande quantité d'argent affluera dans le pays. Il est impossible de regarder les images qui nous proviennent de Haïti sans ressentir un immense besoin de venir en aide aux Haïtiens. Dans le monde entier, des millions de personnes le font, ainsi que leur gouvernement.

Bien que ces réactions soient normales (rappelons l'ampleur du mouvement de solidarité après le tsunami qui a ravagé l'océan Indien en 2004), dans le cas présent, les nouvelles technologies ont permis à l'aide étrangère d'être encore plus efficace. Les images de désolation nous poussent à réagir, et les nouvelles technologies facilitent considérablement les interventions. Sur Twitter, on peut lire le message suivant: «Tapez HAITI sur votre portable et composez le 90999 pour donner 10 dollars à la Croix rouge». En quelques heures, un million d'Américains ont envoyé ce texto, ce qui a permis de recueillir 10 millions de dollars, lesquels ont été débités de leur forfait téléphonique et transférés gratuitement à la Croix rouge. L'organisation humanitaire indique que le total des fonds qu'elle a reçu pour Haïti dépasse celui des autres catastrophes.

Les contributions des gouvernements et des institutions internationales ainsi que des entreprises ont également été instantanées et massives. Argent, médicaments, nourriture, équipement et personnel spécialisé ne feront pas défaut. Ce qui manquera, c'est la capacité à les exploiter de façon optimale. Malheureusement, l'expérience montre qu'il est fort probable que la volonté de la communauté internationale faiblisse et que son soutien à Haïti diminue après qu'on aura enterré les morts, que les orphelins auront disparu des écrans de télévision et quand les journalistes s'intéresseront à d'autres calamités.

En deuxième lieu, l'aide internationale et l'argent sont indispensables, mais insuffisants. Les tonnes de médicaments qui s'empilent à l'aéroport de Port-au-Prince ne seront guère utiles s'ils ne sont pas canalisés efficacement via des réseaux de distribution pour arriver à temps aux victimes. Or ces réseaux de distribution n'existent pas. Le séisme qui a frappé Haïti a porté le coup de grâce à un système déjà rongé par des décennies de misère, de corruption et de mauvaise gouvernance. C'est pourquoi rendre Haïti capable d'assurer à sa population les services de base - eau, électricité, santé, police, écoles - est le véritable défi post-séisme. La reconstruction des habitations, des écoles, des hôpitaux et des bâtiments administratifs sera longue et coûteuse. Mais pas autant que la mise en place d'institutions qui puissent donner au pays une capacité minimale de fonctionnement.

Troisièmement, la présence d'organisations étrangères en Haïti a des effets à la fois positifs et négatifs. Avant ce tremblement de terre, l'effroyable situation du pays le plus pauvre et le plus défaillant du continent américain avait déjà fait de lui la destination prioritaire des ONG en tous genres. Le journaliste David Brooks nous apprend dans le New York Times que Haïti est le pays au monde qui compte le plus d'ONG par habitant. C'est évidemment une très bonne chose. Le problème est qu'il n'y a pas de gouvernement pour assurer leur coordination et que la présence d'autant d'organisations non gouvernementales qui disposent de plus d'argent, de personnel et de capacités que l'Etat rendent la gouvernance encore plus difficile. Plus grave encore, parmi toutes les ONG attirées par le chaos qui règne en Haïti, certaines sont peu recommandables. Les narcotrafiquants ont profité de la situation. Haïti est devenu la plaque tournante privilégiée de la drogue en provenance des Andes et destinée au marché américain. Certains des personnages les plus influents des milieux politique et économique haïtiens vivent au Mexique et en Colombie: ce sont les barons de la drogue. Ceux-là n'ont pas souffert du séisme.

Quatrième considération: il faut aider la République dominicaine. Parfois, les séismes provoquent aussi des tsunamis. Bien que celui de Haïti n'ait pas engendré de tsunami, cette catastrophe produira une vague de réfugiés qui envahiront la République dominicaine. Ce pays, quoique plus prospère et mieux gouverné que Haïti, est également très pauvre. Ses institutions précaires ne sont pas capables de répondre adéquatement aux besoins de la population. Inévitablement, le malheur haïtien accentuera davantage le mouvement d'émigration vers la République dominicaine. Ce qui accroîtra la pression sociale et les demandes auprès des services publics dominicains déjà dépassés. Si on néglige ce pays aujourd'hui, il risque d'être en proie une grave crise sociale et politique.

Finalement, malgré les considérations précédentes, la communauté internationale et les Haïtiens pourraient nous surprendre en bien. La communauté internationale peut tirer les leçons de ses erreurs passées et adapter en conséquence ses initiatives en Haïti. Les ressources, jamais suffisantes, ne sont pas aussi rares qu'elles l'ont été jusqu'à présent. Les Haïtiens et leur diaspora dynamique peuvent prendre conscience du fait que cette tragédie représente une occasion unique de changer de cap. Ce scénario optimiste est peu probable, mais pas impossible...