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Global Columns

Al-Qaida 2.0

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Les capacités et les contours de la nouvelle version d'al-Qaida qui vient de voir le jour avec la disparition de son fondateur et héros Oussama ben Laden sont encore floues. Mais elle sera très différente de la version précédente. Elle est, en outre, confrontée à de nouveaux défis stratégiques, qui ont bien peu à voir avec ceux de l’organisation que Ben Laden a fondée en 1988. Et ce, bien que les spectaculaires attentats contre les tours jumelles aient été perpétrés au cours de ce siècle. Malgré la mort du «chef» d’al-Qaida, les idées et les circonstances qui ont façonné l’homme et son organisation terroriste appartiennent au 20ème siècle.

Ces dix dernières années, depuis le 11-Septembre, beaucoup de changements se sont produits dans le monde, de même qu’au sein d’al-Qaida: son organisation et ses chefs opérationnels, l’origine de ses membres, ses sources de financement, ses principaux théâtres d’opérations ainsi que ses tactiques, ennemis et concurrents.

A l’origine, al-Qaida était une organisation opérationnelle qui, même si elle reposait sur des cellules indépendantes, maintenait un important degré de centralisation. Les cibles à attaquer, le mode opératoire, la planification, la collecte et la gestion des fonds, le recrutement et la promotion des chefs, étaient autant de décisions majeures qui incombaient à Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri et un petit groupe de lieutenants.

La nouvelle al-Qaida relève plus d’une idéologie que d’une organisation qui agit selon des ordres émanant d’un siège central. Son influence et son futur ne résident plus tellement dans sa force en tant qu’organisation, mais plutôt dans sa capacité à inciter de nouveau djihadistes à s’organiser, s’entraîner, planifier et s’en prendre, de façon autonome, à des cibles choisies par eux.

Non, la «vieille» al-Qaida n’a pas disparu pour autant. Nous aurons sans doute de ses nouvelles ces prochains jours ou mois, parce qu’elle voudra montrer au monde entier que la fin de Ben Laden n’implique pas sa mort en tant qu’institution. Il y a peu, la police allemande a arrêté un immigré d’origine marocaine qui, grâce al-Qaida, avait pu se rendre à la frontière qui sépare le Pakistan et l’Afghanistan, dans le but de s’exercer à manier des explosifs. Il y en a d’autres comme lui, quoiqu’il n’incarne pas le profil idéal pour al-Qaida 2.0.

Le parfait terroriste de nouvelle génération vit aux États-Unis ou en Europe et agit pour son propre compte, sans jamais avoir de contact direct avec l’organisation. Se revendiquant d’al-Qaida, il fait exploser une ou plusieurs bombes dans un lieu très fréquenté d’une grande ville.

Avec l’émergence de concurrents pour le moins surprenants – les mouvements de révolte démocratique du monde arabe –, al-Qaida a aujourd’hui de plus en plus de mal à recruter de tels «activistes indépendants». Auparavant, le message d’al-Qaida était simple: «Nous luttons contre les dictateurs répressifs et infidèles des pays arabes, qui ne font rien pour sortir le peuple de la misère, pendant qu’ils s’en mettent plein les poches grâce à leur connivence avec notre bête noire – plus infidèle encore –, l’empire américain.»

Pour un jeune désœuvré, sans avenir ni autre moyen de canaliser ses énergies, frustrations et espoirs, cet appel à la lutte était irrésistible. Désormais, ce jeune a le choix de descendre dans la rue pour se battre. Non pas pour tuer des innocents à l’étranger, mais pour changer la situation chez lui. Et sa récompense, il l’entrevoit ici et maintenant, pas dans l’au-delà peuplé de kamikazes-martyrs d’al-Qaida.

Pour survivre, la nouvelle al-Qaida devra redorer son image ternie dans le monde musulman – pas une mince affaire. Une organisation qui a assassiné plus de musulmans que d’Américains ou d’Européens (d’une autre confession) a beaucoup de comptes à rendre. Autre désavantage: l’al-Qaida du 20ème siècle pouvait compter sur le soutien enthousiaste et transparent de certains pays (l’Afghanistan des talibans, par exemple) ou le financement de certains gouvernements; aujourd’hui, une alliance ouverte avec le mouvement reviendrait à s’attirer les foudres de la communauté internationale.

Les contorsions du gouvernement pakistanais pour justifier que Ben Laden ait pu se cacher à Abbottabad ou les contradictions des chefs du Hamas par rapport à al-Qaida en disent long sur la radioactivité politique acquise par la nébuleuse terroriste. Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a condamné le raid américain qui a abouti à la mort de Ben Laden: «Nous condamnons l'assassinat de tout moujahid (…)», a-t-il déclaré. (Pourtant, quelques jours auparavant, il avait ordonné un assaut similaire contre une cellule d’al-Qaida à Gaza, qui a fait plusieurs morts.)

Si les soutiens officiels d’al-Qaida au sein des gouvernements sont de plus en plus rares, la présence géographique de l’organisation terroriste n’en est pas affectée. De l’Algérie à la Tchétchénie, en passant par la Somalie et l’Indonésie, la mondialisation des groupuscules qui se revendiquent d’al-Qaida se poursuit.

En résumé, al-Qaida 2.0 continuera d’être une menace. Mais supplantée par des idées et des leaders plus séduisants qu’elle, l’organisation déjà affaiblie sera de plus en plus discréditée.