Se nourrir va-t-il coûter moins cher?
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Il s’agit de la plus grande source de prospérité pour des millions de pauvres qui vivent dans les pays producteurs... Faux, leur consommation croissante en Chine et dans d’autres pays asiatiques tire les prix vers le haut. Résultat, la vie est plus chère et nous nous appauvrissons. Sans compter que leur consommation effrénée menace la survie de la Terre.. C’est tout le contraire! C’est une source de progrès et de stabilité dans le monde... Foutaises! La fluctuation des prix affaiblit considérablement les économies…
Voilà quelques-unes des assertions contradictoires que l’on entend souvent à propos des ressources naturelles, matières premières et autres produits de base –minéraux, végétaux, hydrocarbures, etc.– dont la consommation et les prix ont explosé ces dix dernières années. Ce sont les cours de ces produits qui conditionnent le prix des aliments. Or, la fluctuation des cours peut anéantir des Etats, créer d’immenses fortunes ou modifier radicalement la répartition du pouvoir entre les nations.
Entre 2000 et 2010, l’évolution du marché des matières premières a eu des conséquences majeures sur le monde entier. Elle a profité aux pays exportateurs de soja, de fer, de coton, d’huile, de cuivre, de blé, de pétrole, de bois et de bien d’autres produits de base. Ils vendent de plus gros volumes, à des prix plus élevés. Et certains, à l’image du Brésil ou de la Malaisie, se sont servis de ces recettes accrues pour améliorer les conditions de vie de millions d’indigents.
Il se trouve que cette hausse de la demande tient principalement à la croissance économique rapide de l’Asie, en particulier de la Chine et de l’Inde –deux pays qui comptent à eux seuls 37% de l’humanité. A titre d’exemple, ces cinq dernières années, les importations agricoles de la Chine ont augmenté de 23% par an!
Ces derniers temps, les experts sont de plus en plus nombreux à prévoir un changement radical de tendance sur le marché des matières premières avec, à la clé, d’importantes modifications au niveau économique et politique dans le monde. L’argument consiste à dire que la phase du «supercycle des matières premières» touche à sa fin. (Les supercycles sont des périodes de prix élevés qui durent entre 15 ans et 20 ans et qui se renouvellent plus ou moins régulièrement depuis 150 ans.)
Durant la précédente décennie, les cours moyens des matières premières ont doublé. Cette hausse contraste avec le fait que, au cours du XXe siècle, ces prix (compte tenu de l’inflation) ont baissé chaque année de 0,5% en moyenne (bien qu’il y ait également eu des périodes de hausses). Mais entre 2000 et 2013, les cours des matières premières se sont non seulement envolés, mais les fluctuations ont été «trois fois plus extrêmes» que dans les années 1990.
L’un des signes de cette volatilité est le fait que ces deux dernières années, les prix ont cessé d’augmenter. Dans la première moitié de 2013, l’indice mondial des cours de matières premières a chuté de 10,5%. Par ailleurs, certains métaux, comme le cuivre, l’aluminium ou le nickel, ont même vu leur prix baisser de 20%. Le ralentissement de la croissance chinoise contribue à la baisse de ces prix, ainsi que l’anémie économique qui prévaut en Europe et la croissance faible des Etats-Unis.
Le supercycle ne serait pas terminé
Ce qui est surprenant, cependant, c’est que malgré les forces qui entraînent une baisse des prix des matières premières, ils restent en moyenne au même niveau qu’en 2008, année d’éclatement de la crise économique mondiale. Selon une étude récente du McKinsey Global Institute, l’annonce de la mort de ce supercycle est prématurée. Les prix resteront élevés. Et la raison, cette fois, ne sera pas l’ampleur de la demande asiatique, mais l’augmentation des coûts de production de ces biens de base.
La hausse de ces coûts est quant à elle due à des facteurs qui vont du changement climatique, lequel altère le cycle des récoltes ou augmente la fréquence et l’intensité des sécheresses et des inondations, aux politiques de restrictions à l’exportation de produits agricoles de certains pays producteurs. Ont également une incidence les grèves plus fréquentes, l’activisme et les protestations sociales, ainsi que le fait que, toujours selon le McKinsey Global Institute, les producteurs sont contraints de travailler dans des lieux de plus en plus reculés et inhospitaliers et d’utiliser des technologies plus coûteuses.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’à court terme les prix de l’alimentaire ne baisseront pas de manière significative. La bonne nouvelle, c’est que ces prix élevés constituent d’immenses incitations à l’invention de technologies qui les amèneront à la baisse.