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Global Columns

Qu'arrive-t-il à la politique?

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

«Toute la politique est locale.» Cette phrase que l'on doit à Tip O'Neill, membre éminent Congrès américain mort en 1994, résume une chose: bien souvent, la priorité des électeurs est que l'on règle leurs problèmes les plus immédiats. Selon cette logique, les gouvernants qui s'impliquent dans de grands dossiers nationaux ou internationaux sont désavantagés par rapport à leurs concurrents qui s'occupent des soucis concrets de ceux qui les élisent.

Mais voilà quelque temps déjà que la politique locale s'est mondialisée. Non pas que la population se moque à présent que les nids de poule qui criblent les rues de leur quartier soient réparés, les ordures ramassées, les écoles rénovées et la délinquance éradiquée. Mais désormais, ces attentes tout à fait locales se conjuguent à des inquiétudes, des déceptions et des colères qui transcendent les préoccupations quotidiennes. Corruption, inégalités et incapacité des gouvernants à se mettre d'accord sont autant de sujet d'inquiétude de plus en répandus dans le monde entier.

Il est édifiant de constater à quel point les débats nationaux se ressemblent dans des pays aussi différents que l'Inde, le Royaume-Uni, l'Indonésie, la France, l'Afrique du Sud, le Brésil ou la Hongrie.

Dans toutes ces nations, des propositions et des personnalités politiques qui étaient autrefois marginales deviennent aujourd'hui centrales. Les rouages politiques traditionnels se mettent en marche pour se défendre contre des électeurs indignés ainsi que de nouvelles organisations et autres «mouvements» qui les défient. L'exemple le plus récent nous vient de Hong Kong.

L'anti-politique

«Tous dehors!» Voilà un slogan exprimant avec véhémence le désir des manifestants qui investissent périodiquement les rues de Buenos Aires, Rome, Lagos et Washington. Bien peu croient à l'honnêteté et l'altruisme des politiques, tant il est vrai que les partis ne sont plus le havre naturel des idéalistes.

Pourtant, dans certains pays, à l'image des Etats-Unis, du Brésil, de la Corée du Sud, du Mexique ou du Japon, l'appareil politique traditionnel continue de tourner à plein régime, ce qui témoigne d'une puissance encore grande. Mais les exemples de l'Italie ou du Venezuela, où de puissants partis historiques ont été rayés de l'échiquier politique, sont riches d'enseignement. Sans en passer par ces extrêmes, dans de nombreux pays, les partis politiques font face à des rivaux d'un nouveau genre: l'ascension du Tea Party aux Etats-Unis, le nouveau Parti de l'homme ordinaire (AAP) en Inde, Ukip en Grande-Bretagne ou le Front national en France illustrent bien la tendance à venir. Pour ne pas dire actuelle.

Le populisme

Voilà l'antidote dont se servent les partis et les dirigeants pour se protéger de l'anti-politique. Motiver les électeurs en exaltant les vertus du peuple et en dénonçant les élites corrompues et déprédatrices qui sont à l'origine des malheurs d'une nation en souffrance.

Cette stratégie ne date pas d'hier, et elle marche: les colonels Peron, Chavez et Poutine en ont tiré de grands bénéfices politiques. On connaît le principe: on dit au peuple ce qu'il aime entendre, quitte à lui promettre des choses irréalises ou irresponsables. Les conséquences sont elles aussi bien connues: immense popularité temporaire du «chef» et dégâts irréversibles à l'économie, auxquels s'ajoute l'avènement d'une nouvelle élite aussi, sinon plus, corrompue que la précédente.

Le nationalisme

Exciter les sentiments à fleur de peau tels que le nationalisme est également très porteur. Vladimir Poutine doit sa cote de popularité de 87% au sein de la population russe à ses incessants discours sur la nécessité de redonner à la Russie sa grandeur passée, assortis de l'invasion de la Crimée et de la menace d'annexer l'est de l'Ukraine.

Accuser l'ennemi extérieur des maux du pays fait aussi partie de la tactique. Sans compter que, pour les vertueux nationalistes, les ennemis extérieurs ne se limitent pas aux pays étrangers et à leurs forces armées. Ils comprennent les immigrés clandestins et les ouvriers asiatiques dont les bas salaires «détruisent les bons emplois» en Europe ou aux Etats-Unis. Ou les invasions culturelles qui «mettent à mal les valeurs de la nation» et instillent au sein du peuple «le venin du consumérisme, du libertinage et de la laïcité». Ce discours aux diverses variantes a aussi gagné le monde entier, de l'Ouganda à la Turquie.

Pourquoi?

Dans les Etats riches, les taux de chômage élevés, les salaires en berne et un ascenseur social en panne pour une grande majorité de citoyens donnent lieu à d'immenses frustrations. Dans les pays émergents, l'incapacité de l'Etat à satisfaire les demandes croissantes de services publics échauffe les esprits des nouvelles classes moyennes. La mondialisation est perçue comme une menace.

Grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, la corruption, les combines en tout genre et l'hypocrisie des puissants deviennent plus difficiles à dissimuler. Les injustices et le fossé social qui se creuse sont aujourd'hui plus visibles que jamais. Et le jeu politique ne consiste plus à confronter les idées, mais à nuire à la réputation de son adversaire. La polarisation des débats, les tensions et la difficulté qu'éprouvent les décideurs pour trouver des accords alimentent ce détachement généralisé vis-à-vis de la politique.

De sorte que des gouvernements paralysés et des partis politiques embourbés continuent de rester sans réponse crédible face aux nouvelles exigences d'une société en effervescence. Une société qui change à une telle vitesse que ceux qui se prévalent d'idées du passé courent à leur perte.