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Global Columns

Le pire échec de l’humanité: l’éducation

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Jour après jour, 1,5 milliard d’enfants de par le monde fréquentent des établissements, qu’il est convenu d’appeler des écoles. Ils y passent de longues heures dans des salles où quelques adultes tentent de leur apprendre à lire, écrire, compter, etc. Tout cela coûte chaque année 5% du PIB mondial.

Une bonne partie de cet argent est gaspillée, sans compter le surcoût que représente le temps perdu par ce milliard et demi d’élèves à qui on n’enseigne presque rien d’utile pour qu’ils puissent évoluer efficacement dans le monde moderne.

Scolarisation n’est pas synonyme d’apprentissage

Au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, 75% des élèves de troisième année du primaire sont incapables de lire une phrase aussi simple que «le nom du chien est Fido». Dans les zones rurales de l’Inde, la moitié des élèves de cinquième année du primaire n’ont pas su effectuer une soustraction à deux chiffres comme «46 - 17». Au Brésil, les élèves âgés de 15 ans ont amélioré leurs compétences, mais compte tenu du rythme actuel de leurs progrès, ils n’atteindront pas la note moyenne en mathématiques des pays riches avant soixante-quinze ans, et il leur faudra plus de 263 ans pour la lecture!

Le Rapport sur le développement dans le monde (2018) de la Banque mondiale fourmille d’informations et de chiffres démoralisants sur ce sujet. Le message clé est le suivant: «scolarisation n’est pas synonyme d’apprentissage». Autrement dit, le fait d’aller à l’école, primaire ou secondaire, ou même d’obtenir un certificat ou un diplôme, ne signifie pas nécessairement qu’on a beaucoup appris.

Pour nuancer le tableau, il convient de souligner que la scolarisation a tout de même énormément progressé sur certains plans. Entre 1950 et 2010, le nombre d’années de scolarité d’un adulte moyen a triplé dans les pays à faible revenu.

Les plus pauvres sont les premières victimes de l’inefficacité du système éducatif

En 2008, l’enseignement primaire de ces pays pauvres accueillait la même proportion d'enfants que celui des pays à revenu élevé. À l’évidence, le problème ne tient donc plus à l’absence de scolarisation. Élèves et étudiants peuvent fréquenter un établissement d’enseignement, mais ce n’est pas pour autant qu’ils y acquièrent des connaissances. Plus qu’une crise de l’éducation, nous avons affaire à une crise de l’apprentissage.

La Banque mondiale insiste sur deux autres messages: la «scolarisation n’est pas seulement une occasion manquée, c’est également une grande injustice pour les enfants et les jeunes du monde entier.» Les plus pauvres sont les premières victimes de l’inefficacité du système éducatif. En Uruguay, par exemple, les élèves de sixième année du primaire issus de foyers modestes échouent cinq fois plus en mathématiques que ceux dont la famille est plus aisée.

Les enseignants sont parfois aussi ignorants que leurs élèves

La même logique se vérifie au niveau des pays. En moyenne, un élève vivant dans un pays pauvre obtient en mathématiques et en langues des résultats inférieurs à ceux de 95% des élèves de pays riches. Cette implacable machine infernale de l’éducation perpétue et creuse des inégalités qui deviennent un terreau favorable aux conflits en tout genre.

On a encore du mal à bien cerner les raisons de ce fiasco. Elles sont nombreuses, complexes et leur spectre est large: les enseignants sont parfois aussi ignorants que leurs élèves et affichent des niveaux d’absentéisme très élevés; dans d’autres cas, les enfants souffrent de malnutrition ou n’ont pas de fournitures scolaires.

Dans de nombreux pays, comme le Mexique ou l’Égypte, les syndicats du monde de l'éducation –secteur dans lequel le taux de corruption est souvent élevé– font obstacle à toute réforme. D’importantes parts des budgets dévolus à l’éducation, au lieu de profiter aux écoliers, sont détournées par les bureaucrates qui contrôlent le système.

Quelles solutions?

Dans un premier temps, il convient de mesurer les résultats, ce que beaucoup de pays rechignent à faire pour des raisons politiques. Or, pour rectifier le tir, il est indispensable d’évaluer de manière transparente élèves et professeurs et de déterminer quelles stratégies éducatives s’avèrent efficaces. Misons sur la qualité: à quoi bon faire des annonces politiciennes en se targuant de taux de scolarisation élevés si l’apprentissage d’une grande majorité d’élèves reste lettre morte? Il faut employer les grands moyens dès les premières années. En effet, plus tôt les enfants valident des acquis dans leur scolarité, mieux ils seront à même de s’instruire au primaire et au secondaire. On peut enfin mettre la technologie au service de l’éducation, mais de manière strictement sélective, car ce n’est pas une solution miracle.

Il ressort tout de même de ce constat une information à la fois importante et encourageante: les pays à revenu faible ne sont pas condamnés à l’échec de l’apprentissage chez les jeunes. En 1950, la Corée du Sud était un pays dévasté par la guerre qui connaissait un taux d’analphabétisme élevé. En moins de 25 ans, il est parvenu à mettre en place un système éducatif qui donne des élèves classés parmi les plus brillants du monde. Entre 1955 et 1975, le Vietnam a également été en proie à un terrible conflit. À l’heure actuelle, les Vietnamiens de 15 ans affichent des résultats scolaires comparables à ceux des Allemands du même âge. Comme quoi rien n’est impossible!