La vérité sur les robots destructeurs d’emplois
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Commençons par un test. Le texte ci-dessous a été publié: a) en 1961, b) en 1987 ou c) la semaine dernière?
«Le nombre de postes supprimés à cause des machines plus performantes n’est qu’un aspect du problème. Ce qui inquiète davantage les experts, c’est que l’automatisation risque d’empêcher l’économie de créer des emplois en nombre suffisant. […] Par le passé, le nombre d’employés recrutés par les nouvelles industries était bien supérieur à celui des personnes ayant perdu leur emploi dans des entreprises qui fermaient, faute de pouvoir concurrencer les nouvelles technologies. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Les nouveaux secteurs économiques emploient comparativement moins d’ouvriers non qualifiés ou sous-qualifiés, c’est-à-dire la catégorie de travailleurs dont les postes disparaissent en raison de l’automatisation.»
La bonne réponse est a).
En 1961, donc. Il s’agit de l’extrait d’un article du Time Magazine de février de cette année-là. Mais il aurait aussi bien pu paraître la semaine dernière qu’en 1970, 1987, 1993 ou n’importe quand au cours des cinquante dernières années. L’inquiétude à propos des technologies destructrices d’emplois est devenue chronique. Mais, jusqu’ici, il faut dire qu’elle est infondée.
Destruction créatrice
Avec les nouvelles technologies, sont apparus de nouveaux secteurs économiques qui ont entraîné plus de créations d’emplois que de disparitions de postes du fait des évolutions technologiques. En outre, tant la productivité des entreprises que les salaires ont augmenté.
L’économiste Joseph Schumpeter l’avait déjà pronostiqué en 1942, baptisant ce phénomène de «coup de vent de destruction créatrice». Selon lui, l’économie subit un «processus de mutation industrielle […] qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs».
Cela s’est vérifié jusqu’à présent. Pourtant, d’aucuns pensent que, cette fois, c’est différent, et que la destruction d’emplois résultant des révolutions technologiques se caractérise par une ampleur et une vitesse sans précédent. Ils craignent dès lors que les marchés qui s’ouvrent et les créations de postes qui en découleront vraisemblablement ne se concrétiseront pas à temps et seront insuffisantes pour offrir un emploi et un salaire décent aux millions d’ouvriers supplantés par les nouvelles technologies.
Innovation technologique vs préoccupation humaine
J’ai récemment eu l’occasion de visiter différents centres d’innovation et de m’entretenir avec un certain nombre de dirigeants d’entreprises de pointe, spécialisées dans les technologies de l’information ainsi que dans la robotique. Bien qu’il se dégage de ce milieu cette atmosphère typique où l’on respire un optimisme communicatif, j’ai aussi relevé de multiples préoccupations et doutes quant à l’impact que pourraient avoir les nouvelles technologies et à la capacité de la société, de l’économie et de la politique à s’y adapter. Le patron d’une grande société high-tech –qui a souhaité rester anonyme– m’a confié:
«Nous allons bientôt commercialiser un robot qui pourra effectuer une grande partie des tâches actuellement prises en charge par des employés qui n’ont pas dépassé le collège ou au maximum le lycée. Ce robot ne va nous coûter que 20.000 dollars, et nous ne sommes pas les seuls… Nos concurrents dans diverses régions du monde s’y mettent aussi. Quand ces robots bon marché, fiables et efficaces deviendront monnaie courante, je me demande bien quels jobs on proposera à celles et ceux dont les compétences ne vont pas au-delà de ce qu’on apprend dans le secondaire. Mais, en même temps, je crois qu’on ne peut pas arrêter cette révolution technologique. Je n’ai pas la solution…»
Autre exemple, celui des voitures sans chauffeur. La société Uber a annoncé au mois de février qu’elle travaillait à la mise au point de tels véhicules. Ce n’est pas une initiative isolée, puisque Google, Mercedes-Benz, General Motors, Toyota et Tesla font aussi partie des dizaines d’entreprises qui misent sur ce créneau. Les véhicules autonomes sont aussi inéluctables que le robot à 20.000 dollars.
Sur ce point, Andy Stern, l’ex-président du syndicat nord-américain SEIU, a averti que la généralisation des voitures sans conducteur détruirait des millions d’emplois. «Aux États-Unis, il y a 3,5 millions de routiers, c’est pourquoi je redoute que le pire bouleversement du marché du travail ne se produise», s’inquiète le syndicaliste.
Déchaînement de créativité
Mais Marc Andreessen, l’un des investisseurs les plus respectés de la Silicon Valley et cofondateur, entre autres, de Netscape, a un avis radicalement différent sur la question et se montre infiniment plus optimiste:
«Les robots ne vont pas créer du chômage, ils vont au contraire déchaîner notre créativité. Soutenir l’idée qu’énormément de gens n’auront pas de travail parce que nous n’aurons rien à leur proposer reviendrait à parier contre la créativité de l’homme. Et en ce qui me concerne, tout a toujours bien marché lorsque j’ai parié en faveur de la créativité humaine.»
Marc Andreessen a raison, mais nous devons d’urgence faire preuve de la plus grande créativité pour amortir le traumatisme de cette transition. En outre, il convient d’intégrer un impératif à toute réflexion sur le formidable potentiel des nouvelles technologies: la garantie d’un certain niveau de revenus pour ceux qui subiront de plein fouet les conséquences de cette révolution.