La mort annoncée de la superpuissance américaine
Andrea G
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
L’un des faits surprenants que les historiens étudieront pendant de longues années est le choix des États-Unis de renoncer à leur statut de leader mondial. Ils devront en outre expliquer à quoi tient cette décision unilatérale car, il faut bien le dire, personne n’a arraché à ce pays l’immense pouvoir qu’il avait bâti des siècles durant.
En réalité, cette abdication ne correspond pas à une décision claire dans ce sens, mais elle est le fruit d’un processus long et complexe. Et bien que l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche l’ait accéléré, cette cession de pouvoir s’est enclenchée il y a un certain temps déjà.
La polarisation politique des États-Unis et les difficultés du gouvernement à prendre des décisions fondamentales sont intimement liées au déclin du rayonnement américain. En 2015, Lawrence Summers, l’ex-secrétaire au Trésor, lançait cette mise en garde: la rigidité idéologique et l’incapacité qui en découle à obtenir des consensus affaiblissent le rôle international des États-Unis.
«Tant qu’un parti politique continuera de s’opposer systématiquement aux traités commerciaux avec d’autres pays et que l’autre parti rechignera à financer les organismes internationaux, les États-Unis ne seront pas en mesure de modeler le système économique mondial.»
Larry Summers faisait alors référence à tous les maux que s’auto-infligeait l’Amérique à chaque fois que le Congrès refusait d’adopter des réformes, auxquelles il répugnait, destinées à renforcer certaines institutions comme le Fonds monétaire international (FMI). Le FMI, comme la Banque mondiale, font partie d’un ordre mondial important qui profite aux États-Unis. Leur solidité et leur pertinence devraient être au cœur des priorités de Washington, mais étonnamment, il n’en est rien.
La cession unilatérale du pouvoir
S’agissant du FMI, 188 pays membres sur 189 ont adopté les réformes proposées. Pas les États-Unis. Or, sans leur vote, ces réformes n’ont pas pu être appliquées. Après avoir patienté cinq ans, dans l’espoir que le Congrès américain finirait par y consentir, le gouvernement chinois a décidé de créer un nouvel organisme financier international au sein duquel Washington n’aurait pas voix au chapitre. C’est ainsi qu’est née la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII) qui compte aujourd’hui 57 États membres et que s’apprêtent à rejoindre 25 pays supplémentaires, dont le Canada et l’Irlande. Dès le départ, on a invité les États-Unis à adhérer à la BAII, une invitation qui est restée sans effet.
Autre exemple récent de cette cession unilatérale de pouvoir: la décision de Donald Trump de sortir du Traité transpacifique (TPP). Le TPP n’inclut pas la Chine; lorsqu’il l’a proposé, l’objectif de Barack Obama était de mettre en place un organisme permanent visant à rapprocher les États-Unis de ses alliés asiatiques. Naturellement, un tel partenariat avait aussi vocation à faire contrepoids à la suprématie chinoise dans cette région.
L’une des premières décisions de Trump en tant que président est de sortir du TPP. Immédiatement, la Chine s’est empressée de profiter cette rare aubaine: Pékin a pris contact avec les plus hauts responsables des 11 pays membres du TPP pour leur proposer un accord commercial attractif. Les États-Unis n’ont pas été conviés à y participer.
Mais Xi Jinping, le président chinois, a voulu aller plus loin, redonnant de l’élan à une initiative qu’il avait lancée en 2013: la nouvelle route de la soie. Invoquant le légendaire réseau de chemins qui reliait la Chine au reste de l’Asie débouchant sur la Méditerranée, Xi Jinping, a invité 64 pays à contribuer à un vaste projet de constructions d’axes routiers, de voies ferrées, de ports et aéroports qui connecteront la Chine à l’Asie, au Moyen-Orient, à l’Afrique, à l’Europe et même à des pays latino-américains comme l’Argentine ou le Chili. Avec la Chine, ces 64 pays représentent 60% de l’humanité et, ensemble, ils pèsent un tiers du PIB mondial.
Les postures protectionnistes de l’administration Trump
Il y a peu, 44 chefs d’État ont assisté à un sommet organisé à Pékin, où ils ont signé un communiqué dans lequel ils affirment:
«Nous nous opposons à toute forme de protectionnisme (…) et nous défendons un commerce international universel et ouvert, fondé sur des règles, sans discrimination et équitable.»
Cette déclaration contraste bien évidemment avec les postures éminemment protectionnistes de l’administration Trump.
Washington perd de son influence sur la scène internationale dans bien d’autres domaines: la lutte contre le réchauffement climatique et la prolifération nucléaire, l’aide au développement et le contrôle des pandémies dans le monde, la lutte contre les crises financières, la régulation d’Internet, la gestion de l’impact des activités de l’homme sur les océans, l’air, l’espace ainsi que les pôles Arctique et Antarctique… Qui comblera cette vacance de pouvoir? La réponse à cette question définira le nouvel ordre mondial. Je peux d’ores et déjà vous dire que ce ne sera pas la Chine.