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Global Columns

Ce que les chiffres de Goldman Sachs nous apprennent sur le monde

Andrea G

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Le monde bouge à une telle vitesse qu’il nous est difficile de traiter, d’interpréter et d’assimiler l’ampleur des transformations qui s’opèrent. Nous avons encore plus de mal à en anticiper les conséquences.

Au mois de janvier, la banque Goldman Sachs a publié un rapport qui propose un bilan quantitatif –arbitraire mais instructif– des changements qui se sont produits entre 2010 et 2015.

Numérisation à vitesse grand V

Au cours de cette période de référence, l’offre mondiale de pétrole a augmenté de 11%, tandis que son prix a baissé de 60%. Les cours du fer ont connu une chute plus vertigineuse encore, 77%, alors que ceux des produits alimentaires ont baissé de 30%. S’agissant des hausses de prix, on peut citer entre autres le cacao (+11%) et le lithium (+27%), des augmentations dues à la demande croissante d’une nouvelle classe moyenne qui consomme davantage de chocolat et de téléphones mobiles alimentés par une batterie au lithium. Les utilisateurs de ces téléphones sont passés de 19% de la population mondiale en 2010 à pas moins de 75% en 2015! Quant au prix des téléphones portables, ils ont baissé de 58%. La téléphonie mobile sera bientôt accessible à la quasi-totalité de l’humanité, contribuant ainsi à la numérisation à vitesse grand V de la vie quotidienne.

Si, en 2010, Facebook comptait 600 millions d’utilisateurs par mois, ce chiffre atteint aujourd’hui 1,6 milliard! Il y a six ans, YouTube hébergeait vingt-quatre heures de vidéo toutes les minutes. En 2015, c’est 400 heures de vidéo par minute qui arrivaient sur le site. Sur eBay, on vendait six vêtements à la minute en 2010, contre 90 en 2015. Par ailleurs, le nombre de voyageurs louant un logement via la plateforme Airbnb a explosé, passant de 47.000 à 17 millions. Quant à Wikipédia, le nombre d’articles disponibles sur cette encyclopédie en ligne est passé de 17 à 37 millions, soit une hausse de 20 millions!

Révolution énergétique et inégalités

Entre 2010 et 2015, nous avons également assisté à une révolution énergétique. Le prix du brut s’est effondré pendant que les États-Unis sont passés devant l’Arabie saoudite et la Russie en tant que pays producteur de pétrole. Le prix d’une ampoule économique à LED a chuté de 78%, celui d’une batterie lithium-ion de 60% et le coût de l’énergie solaire a diminué de 37%. L’efficacité énergétique d’un pick-up Ford (F150) a augmenté de 29% en cinq ans. En 2010, le plus grand groupe commercial en matière de capitalisation boursière était PetroChina. Cinq ans plus tard, Apple lui a ravi cette place de leader.

Le monde du travail a également connu de profondes mutations. Les salaires ont stagné dans les pays les plus avancés, tandis qu’en Chine ils ont bondi de 54%. Beaucoup d’analystes pensent que le chômage et les bas salaires sont dus à l’automatisation et au fait que des robots remplacent les humains. Et, en effet, aux États-Unis, le nombre de robots industriels vendus au cours des cinq dernières années a crû de 89%, bien que le nombre total de ceux qui sont actuellement en service soit encore faible, ainsi que leur impact sur l’emploi. Mais cela ne va pas durer.

Cette inquiétude à propos de l’emploi et des revenus signale parallèlement d’autres évolutions importantes qui ont marqué la période 2010-2015. Même si les inégalités ont toujours existé, elles ont acquis ces dernières années une visibilité inédite. En fait, au niveau international, les disparités ont diminué. Dans les pays développé, en revanche, les inégalités se sont tellement accentuées qu’elles sont devenues, un peu partout, le thème-clé des débats nationaux –et on peut s’en réjouir. Si ce n’est que cette problématique, «gérée» par des démagogues, peut aboutir à la mise en œuvre de politiques totalement contre-productives qui, au lieu de réduire les inégalités, les creuseraient. Il va sans dire que ce dossier mérite d’être traité efficacement de toute urgence.

De la crise économique au changement climatique

Une autre étude récente jette une intéressante lumière sur les grands changements en cours. Il s’agit du Rapport annuel des risques mondiaux que publie depuis dix ans le Forum économique mondial. Ce rapport repose sur les perceptions de 750 experts de renom, domaines et de pays différents, concernant les principaux risques auxquels est confronté le monde. Pendant plusieurs années, la crise économique a été l’inquiétude numéro un. Ce n’est plus le cas. Dans l’édition de 2016, le changement climatique (qui figurait ces trois dernières années parmi les cinq principaux risques) devient le danger considéré comme le plus grave et ayant le plus fort impact.

Vient ensuite la prolifération des armes de destruction massive, les conflits dus à des pénuries d’eau et les migrations dites «involontaires». Ce rapport nous apprend en outre que le monde compte aujourd’hui 60 millions de déplacés. Si ces réfugiés formaient un pays, ce serait le vingt-quatrième par sa population [presque autant que la population française; NDLR]! Le rapport du Forum économique mondial considère également la cybercriminalité comme une menace majeure, qui entraîne déjà des pertes 445 milliards de dollars de pertes par an –et ce chiffre ne cesse de croître.

Mais, avec le réchauffement de la planète, le plus important changement de ces dernières années est peut-être notre désormais extraordinaire capacité en matière de génétique et de biotechnologie. En 2010, un séquençage de génome coûtait 47.000 dollars, or, aujourd’hui cette opération revient à moins de 1.300 dollars pour le faire. Et ce coût baisse de jour en jour. S’agit-il en l’occurrence d’un risque ou d’une opportunité?