Urgence climatique: quand les gouvernements vont-ils enfin se bouger?
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra et édité par Hélène Pagesy
Depuis quelques semaines, les manœuvres des troupes russes près de l'Ukraine accaparent l'attention de la communauté internationale. Dans le même temps, l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique a publié un rapport d'une importance capitale dont la principale conclusion est la suivante: ces trente prochaines années, la montée des eaux sur les côtes américaines sera équivalente à celle qui a eu lieu sur l'ensemble du XXe siècle.
Pour remettre ce chiffre en contexte, il suffit de préciser que durant ces cent ans, le niveau de l'océan Atlantique est monté plus vite qu'au cours des 2.000 années précédentes. Par ailleurs, 40% des Américains vivent dans cette région côtière, qui concentre du reste une bonne partie des activités économiques de leur pays. Comme chacun le sait, ce problème se pose à l'échelle planétaire, et l'élévation du niveau de la mer n'est qu'un effet parmi d'autres du réchauffement de la Terre.
Pourquoi l'humanité montre-t-elle tant de mauvaise volonté à affronter avec efficacité une crise susceptible de faire disparaître la civilisation telle que nous l'avons connue? Pourquoi les dirigeants de ce monde ne parviennent-ils pas à prendre les décisions nécessaires pour faire baisser suffisamment les émissions de CO2, le gaz qui contribue le plus au réchauffement planétaire?
Il y a d'abord l'impuissance. Que peut bien faire un citoyen lambda pour empêcher l'élévation du niveau de la mer ou diminuer la fréquence et l'intensité des sécheresses, inondations et autres feux de forêt –qui sont à présent monnaie courante?
Volonté politique
C'est là une tâche qui devrait revenir à un certain nombre de gouvernements agissant à grande échelle et de façon éminemment coordonnée. Bien que les individus ne puissent pas grand-chose pour maîtriser ces catastrophes à leur niveau, leur rôle de citoyen et d'électeur est crucial. Ils ont la faculté de porter au pouvoir des dirigeants capables de mobiliser la société et de bénéficier de son soutien pour prendre les décisions difficiles qui s'imposent si l'on veut refroidir le dossier brûlant du climat.
Soutien populaire et nouvelles technologies
Pour concrétiser une initiative de cette portée, qui fait encore défaut, il faut conjuguer une volonté politique de fer, un soutien populaire massif et l'apport des nouvelles technologies. Le soutien de l'opinion s'est érodé du fait du sentiment d'impuissance qu'éprouvent les citoyens face à l'ampleur du problème et du fait de la confusion qui règne autour d'une possible solution. On peut le comprendre.
Cette menace est-elle aussi grave qu'on le dit? Les solutions proposées sont-elles les bonnes? Peut-on se fier aux experts? Ce sont autant d'interrogations légitimes, mais qui, dans certains cas, n'ont d'autre visée que de brouiller les cartes. Le scepticisme et la confusion qui entourent les stratégies de lutte contre les changements climatiques sont aggravés par l'instrumentalisation politique et les puissants intérêts qui se cachent derrière le statu quo.
Lobbies
Deux chercheurs, Doug Koplow et Ronald Steenblik, viennent de publier une étude dans laquelle on apprend que les pays qui prétendent mettre tout en œuvre pour réduire les émissions de CO2 subventionnent à hauteur de 1.800 milliards de dollars –soit 2% du PIB mondial– les industries les plus polluantes des secteurs du charbon, du pétrole, du gaz ou encore de l'agriculture.
Ces grands industriels ne savent que trop se défendre contre les initiatives qui mettent en péril leur rentabilité. Il y a quelques décennies, l'industrie du tabac payait des «scientifiques» et des centres de recherche pour remettre en cause la corrélation entre consommation de tabac et cancer. Des années durant, ces groupes sont parvenus à différer l'acceptation par les dirigeants et les gouvernements de cette vérité scientifique pourtant irréfutable. Des dizaines de milliers de fumeurs sont morts au cours de cette période. Eh bien, les compagnies pétrolières en font autant, rétribuant elles aussi des climatosceptiques chargés de contester l'urgence de mettre fin au réchauffement.
En 2019, ExxonMobil a versé 690.000 dollars à huit groupes d'activistes et de scientifiques priés de nier la crise climatique. En outre, ce groupe continue de financer des membres du Congrès américain qui s'opposent à l'adoption d'une loi sur les émissions de dioxyde de carbone alors que, publiquement, ExxonMobil se dit favorable à cette initiative.
«On s'ra plus là»
D'autre part, il est un obstacle difficile à lever afin d'éviter que la Terre ne devienne inhospitalière, pour ne pas dire inhabitable: l'absence de solidarité intergénérationnelle. «Ça m'est égal, je ne serai plus là quand cette crise se produira», est une remarque que l'on a tous pu entendre. Il faut dire que ce désintérêt pour la situation de la planète dont hériteront les générations futures tient aussi au manque de consensus clair quant aux actions à mener.
Les solutions existantes à ce jour, comme l'élimination des subventions aux entreprises hautement polluantes, ou l'imposition d'une taxe carbone font augmenter le prix de l'électricité, de l'essence, du chauffage, des produits manufacturés et plus encore.
Ces hausses de prix sont immédiates et concrètes dans le quotidien des consommateurs, qui ont plus de mal à voir les bénéfices à long terme promis –mais non garantis– par les solutions au réchauffement planétaire. C'est un pari. Ces deux facteurs rendent très difficile pour les responsables politiques de prendre les mesures que requiert la crise climatique.
Les nouvelles technologies énergétiques qui sont en passe d'émerger offriront une solution. Mais celles-ci devront également s'accompagner d'importantes innovations en matière de «technologie politique».