Moisés Naím

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Les effets inattendus de la chute du Mur

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

L'écroulement du mur de Berlin «tombait mal» pour les soviétologues. Dans le monde entier, des milliers d'espions, de généraux, de diplomates, de professeurs, de journalistes et d'experts gagnaient leur croûte grâce à l'étude de l'Union soviétique. Personne n'avait pronostiqué sa chute.

Pourtant la fin pacifique du malveillant empire soviétique - qui fut une surprise - a entraîné des conséquences aussi, voire plus surprenantes pour l'Europe. Voici quatre des conséquences inattendues de la chute du bloc soviétique pour les Européens.

La Chine, nouvelle URSS

La Chine a remplacé l'Union des républiques socialistes soviétiques en tant que principale menace pour les Européens. A la chute du mur de Berlin, personne n'imaginait que la Chine aurait un impact direct sur la vie des Européens occidentaux, bien plus que l'URSS.

Non pas à cause de son pouvoir nucléaire, mais en raison de son pouvoir économique. Après la Seconde guerre mondiale, l'Europe occidentale a vécu sous la menace d'un conflit meurtrier avec les Soviétiques. Heureusement, cette menace ne s'est jamais concrétisée et la vie quotidienne des Européens n'en a pas été très affectée. En revanche, l'ascension économique de la Chine touche tous les jours la vie de tous les consommateurs européens. Ce qui se manifeste notamment par le prix qu'ils payent pour l'électroménager, les médicaments, l'essence ou les prêts immobiliers. L'empire du Milieu influe également sur la situation de l'emploi. En définitive, le capitalisme chinois aura plus transformé l'Europe que le communisme soviétique.

L'euro

Personne n'avait prévu que la chute du mur de Berlin stimulerait la création de l'euro. Qui aurait osé dire que les Allemands seraient prêts à abandonner le deutsche mark? Ou que les Français accepteraient de ne plus avoir de monnaie nationale au profit d'une devise contrôlée depuis Francfort, le siège de la banque centrale européenne? Et qu'en outre, 14 autres pays décideraient de se départir de leur monnaie et de passer à l'euro? Ou qu'après une crise financière mondiale aux effets dévastateurs pour l'Europe, la monnaie de refuge, pour ceux qui craignent de voir une dévalorisation brutale du dollar, serait l'euro? L'euro était au départ une utopie. Aujourd'hui, c'est une réalité qu'on prend pour acquise.

La faiblesse politique de l'Europe

En principe, plus le nombre de pays composant une alliance est élevé, plus celle-ci devrait être influente. En 1960, seulement six pays faisaient partie de la CEE. En 2003, ils étaient 15. Aujourd'hui, l'Union européenne compte 27 Etats. L'Europe est une puissance économique mondiale. Ses démocraties et ses politiques sociales sont jalousées par le reste du monde et ses généreuses aides au développement sont fortement convoitées. Mais, paradoxalement, sa prépondérance sur la politique internationale n'a pas augmenté.

Selon une étude du Conseil européen des relations extérieures (CERE), l'influence du continent européen à l'ONU en matière de défense et de droits de l'homme - une valeur fondamentale de l'Europe - est en chute libre. A la fin des années 90, 70 % des pays de l'ONU soutenaient l'Europe dans les votes concernant les droits humains. Aujourd'hui, 117 des 192 pays de l'ONU prennent régulièrement position contre l'Europe dans leurs votes. Le CERE note également qu'en 2008, l'Europe a envoyé plus de soldats en Afghanistan que les Etats-Unis, dont 500 y ont perdu la vie. Par ailleurs, l'aide étrangère de l'UE est comparable à celle des Etats-Unis. Et pourtant, elle ne pèse pas plus sur les décisions stratégiques. S'agissant du conflit israélo-palestinien, c'est le même topo. L'Europe envoie beaucoup d'argent, mais a peu d'influence. Le fait que l'Union européenne n'agisse pas de manière très unie diminue son rayonnement international.

L'islam dans la vielle Europe; l'Amérique dans la nouvelle Europe

Qui aurait imaginé, dans les moments d'extrême tension de la guerre froide, que de nombreux Européens finiraient par se sentir plus menacés par l'immigration en provenance des pays arabes que par l'expansion des pays communistes? Ou que la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque deviendraient des bastions du pro-américanisme dans le monde?

C'est encore l'une des surprises de l'Europe postsoviétique. L'angoisse de l'immigration, notamment celle venue des pays musulmans, s'est transformée en un sujet de débat quotidien. Le corolaire de ces angoisses: l'Europe risque de devenir l'«Eurabie».

Aujourd'hui, les immigrés représentent près de 10 % de la population de la majorité des pays d'Europe occidentale. Dans certaines grandes villes, ils atteignent les 30 %. Inévitablement, les enquêtes révèlent que 57 % des Européens estiment qu'«il y a trop d'étrangers» dans leur pays. Entre-temps, dans des ex-républiques soviétiques, le pro-américanisme prend de l'ampleur: aux niveaux économique, politique, culturel et même militaire. Que cela se produise sur un continent traditionnellement anti-américain est un autre héritage surprenant de la chute du mur de Berlin.