Moisés Naím

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Venezuela/USA: Ce que Mitt Romney peut apprendre d'Henrique Capriles

Slate / Moisés Naím et traduit par Peggy Sastre

Mitt Romney est candidat à la présidence de l'une des machines politiques les plus anciennes et les plus puissantes du monde. Henrique Capriles est le candidat d'un amalgame de partis politiques vénézuéliens aussi transitoire que rudimentaire. Les deux hommes font face à des présidents sortants à l'habileté politique indéniable et qui jouissent d'un important soutien populaire –mais la comparaison s'arrêtera là.

La candidature du républicain américain se déroule dans une démocratie mature, et son adversaire est soumis à une législation très stricte régissant l'usage de fonds publics pour sa campagne. M. Capriles fait face à Hugo Chávez, un chef d’État dont la longévité en exercice est l'une des plus grandes du monde et un autocrate qui n'a jamais hésité à considérer les richesses pétrolifères de la nation comme les siennes propres, ou à modifier la loi selon son bon plaisir.

Pourtant, démentant tous les pronostics, la campagne menée par M. Capriles se conclut sur un sans-faute et, dimanche, le candidat incarnera pour Chávez un défi électoral inédit. La campagne de Romney, en revanche, malgré ses généreux financements et ses consultants politiques les plus chers du marché, a dû souffrir d'un nombre incalculable de gaffes, d'erreurs et de faux pas. Selon la célèbre formule de la chroniqueuse républicaine Peggy Noonan, cette campagne fait l'effet d'un «désastre en roue libre».

Idéologie ou solutions concrètes?

Dès lors, Mitt Romney, ce vieux loup de la politique et des affaires de 65 ans, a-t-il quelque-chose à apprendre d'Henrique Capriles, 40 ans, et issu d'un pays arriéré à la démocratie défaillante? En réalité, oui, et plutôt deux fois qu'une.

Tout d'abord, il pourrait apprendre que les élans d'ouverture ont des vertus. Il devrait ignorer ses conseillers et aller chercher le soutien d'électeurs que tout le monde lui dit inaccessibles. M. Capriles a réussi à séduire certains des partisans les plus acharnés de Chávez et n'a pas cessé de répéter que, s'il est élu, il sera ouvert, tolérant, et n'acceptera aucun règlement de comptes contre les alliés de l'ancien président. A l'inverse, M. Romney semblait vraiment sincère dans sa désormais célèbre diatribe contre les 47% d'électeurs qui, par leur mode de vie et ou leurs revenus, seraient placés d'office dans le camp d'Obama.

Ensuite, il devrait se méfier de l'idéologie —qui ne paiera jamais votre loyer ou le traitement de votre enfant malade. «Ce que j'ai appris en tant que maire et gouverneur, c'est que les gens veulent des solutions concrètes à leurs problèmes concrets», s'est plu à répéter M. Capriles pendant sa campagne. La rhétorique de M. Romney, par contre, fait la part belle à l'idéologie et remise les détails au second plan, une logique qui le rend vulnérable. Les gens veulent entendre des propositions précises qui amélioreront leur vie de tous les jours. La chose est aussi évidente que, visiblement, facile à oublier.

Privilégier la réconciliation au détriment de l'affrontement et des querelles

M. Romney devrait aussi minimiser les petites piques. Si M. Chávez a souvent déversé un torrent d'insultes sur son rival, M. Capriles, lui, a toujours été respectueux, et a toujours fait très attention à sa manière de s'adresser au président. Et c'est surprenant, vu les profondes scissions politiques qui divisent le Venezuela. Mais M. Capriles a su comprendre que, malgré la polarisation du pays, il existe un appétit croissant de réconciliation parmi la population, qui voudrait que les politiciens cessent leurs chicanes et se mettent à résoudre les problèmes du pays. La polarisation a beau être moins prononcée aux États-Unis qu'au Venezuela, des sondages indiquent que les électeurs américains considèrent que les querelles entre hommes politiques les empêchent de gérer des problèmes comme le déséquilibre budgétaire, l'endettement de l’État ou encore la réforme du système de santé, et que de tels blocages sont mauvais pour la nation.

S'il est vrai que la publicité négative est souvent une bonne stratégie, Romney a peut-être beaucoup à gagner à répondre aux griefs de ces Américains qui souhaitent voir davantage de civilité et de collaboration parmi les politiciens.

Mieux vaut une empathie forcée que pas d'empathie du tout

Ensuite, M. Romney devrait cultiver son empathie. La seule chose pire qu'un politicien qui affiche une empathie forcée, c'est un politicien qui n'affiche aucune empathie du tout. Bill Clinton est, évidemment, passé maître pour vous faire croire qu'il comprend réellement votre situation. M. Capriles est tout naturellement porté vers les pauvres et les nécessiteux, mais il en a fait consciemment et volontairement l'une des caractéristiques majeures de son personnage politique. Romney fait tout ce qu'il peut pour convaincre les gens qu'il comprend leurs souffrances. Mais il laisse trop souvent échapper des petites remarques qui montrent, fondamentalement, combien sa vie de privilégié l'empêche d'être sur la même planète que les plus démunis. Il devrait redoubler d'efforts de ce côté-là.

Mais malgré sa campagne parfaite, M. Capriles pourrait quand même perdre dimanche et, malgré sa campagne boiteuse, M. Romney pourrait quand même gagner en novembre. Au final, M. Obama pourrait se révéler vulnérable et, grâce à son charisme, l'argent du pétrole et de sales manigances, M. Chávez pourrait se révéler invincible. Mais si M. Capriles remporte l'élection de dimanche, l'ultime leçon que le monde pourrait en tirer, c'est que des autocrates grossiers peuvent toujours être battus par un candidat remarquable et par une campagne électorale impeccable.