Moisés Naím

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Venezuela: scènes de démocratie

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Nicolás Maduro a été élu président du Venezuela le 14 avril 2013 à 50,75% des voix contre 48,97% à Henrique Capriles, qui accuse le pouvoir de fraudes électorales.

Un audit partiel des résultats des élections doit débuter ce 29 avril, audit que Capriles a rejeté dimanche 28 avril, le Conseil national électoral (CNE) ayant annoncé qu'il conduirait bien l'audit, mais pas dans les conditions réclamées par Henrique Capriles, rappelle Le Monde.

Scène n° 1

Dimanche, Carmen était à la fois épuisée et très contente. Epuisée parce qu’à 78 ans, 15 heures de trajet en autocar, ça fait beaucoup. Mais très contente, car elle avait réussi à voter à la présidentielle vénézuélienne. Pour aller aux urnes, elle a dû quitter Miami, où elle vit depuis trois ans, pour gagner La Nouvelle-Orléans, la ville la plus proche où les Vénézuéliens qui habitent dans le sud de la Floride peuvent voter. Si Carmen a dû faire ce long voyage, c’est parce qu’Hugo Chavez avait fait fermer le consulat du Venezuela à Miami. Résultat, les 20.000 Vénézuéliens qui y résident (dont beaucoup soutiennent l’opposition) ont eu à choisir entre ne pas voter ou faire le déplacement jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Des milliers d’entre eux s’y sont rendus en car, en voiture ou en avion. Ils ont voté à la présidentielle d’octobre, et de nouveau le 14 avril. La télévision a diffusé d’émouvantes images de jeunes, de couples portant leurs enfants sur le dos et de personnes âgées faisant le nécessaire afin d’exprimer leur suffrage.

Scène n° 2

William Davila est député de l’Assemblée nationale du Venezuela. Il fait partie de la minorité qui n’est pas contrôlée par le gouvernement. Au scrutin de 2010, l’opposition a recueilli la majorité des suffrages (52%). Mais le gouvernement a changé les règles du jeu et, alors qu’il avait obtenu moins de voix, il s’est arrangé pour avoir le plus grand nombre de députés et s’assurer ainsi le contrôle de l’assemblée. Durant les 14 ans de présidence d’Hugo Chavez, l’Assemblée du Venezuela n’a jamais voté contre ses «propositions» et lui a conféré, à plusieurs reprises, des pouvoirs absolus lui permettant de gouverner par décret, sans consultation aucune. Le 16 avril, William Davila était en train de s’exprimer devant l’assemblée, lorsque plusieurs députés du gouvernement s’en sont violemment pris à lui. Ils l’ont blessé au visage avec un micro, ce qui lui a valu 14 points de suture.

Scène n° 3

Durant la récente campagne électorale, Nicolas Maduro a bénéficié d’une omniprésence dans les médias. En revanche, la visibilité et les messages de son rival, Henrique Capriles, ont été mis à mal par le gouvernement. L’un des messages télévisés de soutien à Maduro les plus emphatiques était celui de Lula. Après avoir d’abord précisé qu’il n’était pas correct de s’immiscer dans la politique d’un pays étranger, l’ex-président brésilien a expliqué pourquoi les Vénézuéliens devaient voter en faveur de Nicolas Maduro. Quant à l’actuelle présidente du Brésil, Dilma Rousseff, elle a immédiatement reconnu la victoire de Maduro, avant même que le gouvernement vénézuélien ne se voit contraint de procéder à un nouveau décompte des voix.

Scène n° 4

Un million de personnes qui, au mois d’octobre 2012, avaient voté pour Chavez, ont voté en avril 2013 contre son dauphin. Mais pas partout. A Río Chiquito, un village de l’Etat de Yaracuy, Nicolas Maduro a obtenu 943% de voix de plus que celles qu’avait recueillies Chavez en octobre. Dans un autre village, La Azulita (dans l’Etat de Mérida), Maduro a atteint 530% de suffrages de plus que Chavez. A Punta Piedras, 493%. Ailleurs, comme dans la ville de Machiques, le candidat du gouvernement a été crédité de 100% des voix.

Scène n° 5

Leonel Cabeza est le directeur de l’Institut régional des sports de l’Etat de Zulia. A l’issue du scrutin, il a convoqué à une réunion tous les fonctionnaires de cet organisme public. Furieux, il a expliqué qu’il disposait d’informations précises sur ceux d’entre qui avaient voté pour le candidat de l’opposition et n’avaient donc pas obéi à l’ordre d’amener leur famille, leurs amis et leurs voisins à soutenir Maduro dans les urnes. Tous ceux-là, il les licenciait.

«Vous pouvez aller vous plaindre devant la justice. Je n’en ai rien à faire. Vous êtes virés!»

Scène n° 6

Le lieutenant Diosdado Cabello a participé au coup militaire de 1992 orchestré par Hugo Chavez. Par la suite, grâce au succès politique de Chavez, le lieutenant Cabello a occupé des postes clés au gouvernement, avant de devenir président de l’Assemblée nationale. Le lendemain des élections, alors qu’un député de l’opposition demandait la parole, Cabello lui posa cette question:

«Reconnaissez-vous Nicolas Maduro comme président légitimement élu?»

Le député en question ébaucha une réponse, mais le président de l’Assemblée l’interrompit:

«Répondez "oui" ou "non"! Je ne compte donner la parole à aucun député qui ne reconnaîtra pas Maduro comme le président légitime de ce pays.»

Scène n° 7

Sous pression de la communauté internationale, le gouvernement a accepté la réalisation d’un audit sur le scrutin (mais le candidat de l'opposition, Henrique Capriles, l'a refusé le 28 avril, NDLE). Tibisay Lucena, présidente du Conseil national électoral, s’est empressée d’exhorter les Vénézuéliens à «ne pas se faire d’illusions, car cet audit a été accepté pour montrer que le système informatique fonctionne parfaitement bien et que les résultats reflètent fidèlement la volonté des électeurs».

Scène finale

Nicolas Maduro a prêté serment comme président du Venezuela jusqu’en 2019. Ainsi, Hugo Chavez et celui qu’il a désigné comme son successeur auront cumulé 20 ans au pouvoir.