Moisés Naím

View Original

Un coup d'Etat, c'est bon pour garder le pouvoir!

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Les putschs ne sont plus tolérés comme avant. Les dirigeants qui accèdent au pouvoir par la force ont beaucoup plus de mal à bénéficier de la légitimité de la communauté internationale. C’est pourquoi, même les régimes fortement enclins à l’autoritarisme se démènent pour déguiser la nature de leur gouvernance et avoir l’air de respecter la démocratie. Ainsi, ils organisent des scrutins et disposent d’un parlement, simple mascarade bien sûr, feignant les caractéristiques de celui d’une véritable démocratie. Les acrobaties électorales de l’Iran ou de la Russie illustrent parfaitement cette tendance mondiale. Et les gouvernements de ces pays s’efforcent de tenir des élections alors qu’il est évident qu’ils ne sont pas prêts à céder le pouvoir à leurs opposants!

Le putsch au service du renversé

Dans la mesure où les coups d’Etat sont unanimement condamnés, rien de tel comme bénédiction politique, que de survivre à une tentative de renversement. C’est arrivé à Hugo Chavez au Venezuela. Et son homologue équatorien, Rafael Correa, vient de connaître le même sort. Dans le cas du Venezuela, les événements d’avril 2002, au cours desquels le président fut chassé du pouvoir avant de le reprendre 47 heures plus tard, lui ont offert une manne politique qui continue de lui rapporter des bénéfices au plan national et international. On se dit qu’aucun président ne souhaiterait traverser une telle épreuve et que de telles tentatives de putsch sont tout à fait répréhensibles. C’est d’ailleurs bien encourageant de voir la réprobation exprimée par tous les pays à la suite du soulèvement militaire contre le président de l’Equateur. Car c’est un avertissement fort adressé à ceux qui tenteraient de s’emparer du pouvoir par des moyens violents.

Pourtant, cette nouvelle réalité apporte son lot de conséquences insoupçonnées. Les avantages politiques liés au fait de résister à un coup d’Etat sont d’immenses motivations pour présenter toute protestation violente comme des actes beaucoup plus graves. Pas étonnant, donc, que des chefs d’Etat confrontés à des manifestations de rue, à une mutinerie des forces de l’ordre ou à une certaine indiscipline, exagèrent ces phénomènes et les fassent passer pour de vastes conspirations de leurs adversaires nationaux et étrangers. Du coup, ils justifient la suspension des garanties constitutionnelles, l’état d’exception, les atteintes portées à la liberté de la presse, le non-respect des droits de l’homme et des libertés civiles des chefs de l’opposition, qu’ils font passer pour des criminels. Bien sûr, quand des dirigeants tentent d’opérer des transformations profondes de la société, ils suscitent des réactions violentes chez leurs adversaires politiques, lesquels sont parfois disposés à les assassiner ou à les évincer du pouvoir par tous les moyens. Il arrive aussi que d’autres pays soient les complices de responsables politiques locaux pour provoquer la chute d’un dirigeant. Tout cela a existé et continue d’exister. Cependant, quand les gouvernements se servent de ce phénomène pour donner de la légitimité à leurs abus, la méfiance est aussi saine et souhaitable que la condamnation systématique des tentatives de coups d’Etat.

La vérité sur le cas du Venezuela

Le coup d’Etat perpétré contre Hugo Chavez en 2002 est instructif et comporte des implications qui dépassent les simples événements qui se sont déroulés au Venezuela. Brian Nelson est un journaliste américain qui s’est installé dans ce pays latino-américain, car, comme il l’a lui même fait savoir, il était un «fervent admirateur de Chavez». Il est l’auteur de The Silence and the Scorpion, qui raconte le coup d’Etat contre Chavez et «l’avènement du Venezuela moderne». Cet ouvrage a été encensé par la critique, à tel point que The Economist l’a élu livre de l’année, disant de lui qu’il était d’une «scrupuleuse objectivité». C’est certain, personne n’a étudié aussi profondément que Brian Nelson ce qui s’est passé au Venezuela.

Il convient de noter que les sympathisants du gouvernement vénézuélien ont dénoncé ce livre. Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque l’auteur explique que la courte privation de Chavez du pouvoir n’était pas la conséquence d’un coup d’Etat prémédité; qu’il n’y avait pas de vaste complot visant à renverser le président de la république bolivarienne; qu’il n’y a pas eu de tentative de «magnicide»; que le gouvernement des Etats-Unis n’y était pas mêlé et que les membres des milices contrôlées par Chavez étaient les principaux responsables des violences et des morts.

Tout cela est en contradiction avec la version qui a tant arrangé le président vénézuélien et qui n’est évidemment pas le fruit du hasard. Le journaliste raconte, preuves à l’appui, comment quelques jours avant après les troubles, le gouvernement a orchestré une opération visant à réécrire l’histoire du «coup d’Etat contre Chavez». On a détruit les preuves d’assassinats, bloqué les procédures judicaires, suspendu les débats à l’Assemblée nationale. On a commandé quelques témoignages sur mesure et soudoyé des vrais témoins pour les réduire au silence. Enfin, le gouvernement vénézuélien a financé une grande campagne internationale de création de «documentaires», conférences, articles de journaux et propagande en tout genre destinée à nourrir la légitimité de Chavez. Résultat, il en est sorti renforcé!

Evitons le piège du soutien d’emblée à la victime d’un coup d’Etat

On ne sait pas encore ce qui s’est passé en Equateur. Pour certains, il s’agit d’un soulèvement des policiers, qui ont protesté avec violence contre la perte de certains privilèges. Le président Correa, lui, estime que ce qui s’est produit est dû à une vaste conspiration qui demandera des réponses fermes de la part de son gouvernement. Quoi qu’il en soit, la méfiance constitue une meilleure sauvegarde de la démocratie que le soutien inconditionnel aux «réponses fermes» des gouvernements qui survivent à un putsch.