Racisme, peur de l'autre: le syndrome de Tuscaloosa
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Mi-novembre, dans la ville américaine de Tuscaloosa (Alabama), symbole du sud profond des Etats-Unis, qui a jadis vu fleurir le Ku Klux Klan et l’idée de la supériorité de la race blanche, il s’est produit un incident à la fois insolite et symptomatique du climat social actuel.
Cette fois, la victime d’une politique locale xénophobe, anti-immigration et irrationnelle, n’est pas un Afro-Américain ou un Latino-Américain sans papiers. C’est un dénommé Detlev Hagler, un ressortissant allemand de 46 ans, cadre chez Mercedes Benz, l’une des entreprises qui totalise le plus grand nombre d’emplois dans l’Alabama et l’un des plus gros investisseurs de cet Etat.
Monsieur Hagler conduisait une voiture de location (une Kia), qui ne portait pas de plaque d’immatriculation. Un policier s’en est aperçu et a suivi la procédure normale dans ce cas: arrêter le véhicule et demander au conducteur de présenter son permis de conduire.
Une politique discriminatoire
Seulement voilà, Detlev Hagler n’avait sur lui qu’une pièce d’identité attestant de sa nationalité allemande. Il a donc été emmené au poste et placé en garde à vue.
Depuis le 1er octobre dernier, c’est ce que prévoit la loi de l’Alabama: quiconque n’est pas en mesure de présenter une pièce d’identité prouvant sa situation régulière en matière de séjour aux Etats-Unis sera placé en détention et éventuellement expulsé.
Heureusement pour Hagler, ses collègues sont allés récupérer à l’hôtel où il logeait son passeport, qui comporte un visa, ainsi que son permis de conduire allemand. Ces documents prouvaient que Detlev Hagler était en règle, il a donc pu recouvrer la liberté.
Felyicia Jerald, porte-parole de Mercedes Benz, a fait savoir que l’entreprise «prendr[ait] les mesures nécessaires pour informer les cadres et autres collaborateurs en visite [aux Etats-Unis] sur les papiers exigés par l’Etat de l’Alabama».
Le principe qui sous-tend la nouvelle législation de l’Alabama relative à l’immigration consiste à rendre la vie quotidienne des clandestins aussi difficile que possible pour les pousser à partir ailleurs, ce qui se produit déjà.
Il est désormais évident que ce nouveau dispositif touche non seulement les immigrés en situation irrégulière, mais aussi des Américains parfaitement en règle –avec des discriminations. Depuis son entrée en vigueur, 66 individus ont été interpelés et mis en détention pour ne pas avoir présenté les documents obligatoires. La moitié était des noirs.
L’ironie de la situation, c’est que les entreprises étrangères qui subissent les désagréments de cette nouvelle législation se sont implantées dans l’Alabama grâce à un effort financier colossal de cet Etat.
Dans le cas de Mercedes Benz, l’Etat de l’Alabama avait débloqué un montant incitatif de 253 millions de dollars (189 millions d’euros) pour que le groupe y installe son usine. Idem pour Hyundai et Honda.
Un des cadres japonais de Honda n’y a pas coupé: n’ayant pu montrer aux autorités les papiers obligatoires, il a écopé d’une amende.
Il y a comme une incompatibilité entre la volonté du gouvernement local d’attirer des étrangers générateurs d’activité industrielle et celle de chasser les immigrés clandestins. Les législateurs n’ont pas anticipé le fait que cette nouvelle loi empoisonnerait aussi la vie des investisseurs étrangers tels que monsieur Hagler et son employeur.
Les uns contre les autres
La rareté de l’argent ou de l’emploi met gravement en péril le «vivre ensemble». Elle implique moins de générosité, moins d’altruisme, moins de tolérance. La crise engendre de la xénophobie, une tension politique, du protectionnisme et, dans certaines régions, du racisme.
De plus en plus, on se réfugie auprès des siens, on a tendance à se dresser les uns contre les autres et à considérer ceux qui sont différents comme une menace.
C’est une attitude aussi courante que pernicieuse, qui a du reste donné naissance à des guerres, à des mouvements aux idées nauséabondes et à des décisions politiques qui, au lieu d’apaiser la tourmente économique, la prolongent.
Pour ne citer que deux exemples parmi la longue série dont regorge l’histoire: la crise économique qui a porté Hitler au pouvoir ou encore la décision des Etats-Unis d’augmenter les tarifs douaniers à l’importation, une mesure inadaptée qui a aggravé la crise de 1929.
Reste à espérer que la crise économique actuelle ne suscitera pas de réactions méritant de figurer dans les pages sombres des prochains manuels d’histoire.
Aux Etats-Unis, heureusement, la concurrence restreint parfois l’impact des mauvaises idées. Car en Amérique, la concurrence ne se limite pas aux entreprises, elle existe aussi entre Etats.
Or le Missouri, dont la politique d’immigration est plus souple, et qui souhaite également attirer de nouveaux investisseurs, cultive activement son image d’Etat tolérant où les étrangers peuvent travailler sans être harcelés. Dans un éditorial du quotidien St. Louis Post-Dispatch, on peut lire:
«Dans le Missouri, nous avons de nombreux avantages par rapport à l’Alabama. Nous sommes l’Etat qui demande aux gens de montrer ce qu’ils savent faire, pas de montrer leurs papiers.»
Je suis convaincu qu’à la longue, c’est le Missouri qui l’emportera.