Obama joue sa présidence en Afghanistan
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Huit civils américains, travaillant probablement pour la CIA (Agence centrale de renseignements), ainsi que cinq Canadiens, 4 soldats et une journaliste, ont été tués au cours des dernières 24 heures en Afghanistan, alourdissant encore le bilan de 2009, année de loin la plus meurtrière pour les forces étrangères depuis la défaite des talibans chassés du pouvoir à la fin de l'année 2001.
A Washington, une porte-parole du Pentagone a indiqué que les huit Américains avaient été tués sur une base militaire lorsqu'un homme avait déclenché des explosifs qu'il portait sur lui. L'attentat a eu lieu sur la Base opérationnelle avancée Chapman, située dans la province de Khost, près de la frontière avec le Pakistan, où les Américains entraînent notamment les forces spéciales afghanes.
Le nombre de soldats en Afghanistan, essentiellement américains, doit être porté de 113.000 à 150.000 en 2010 afin de combattre l'insurrection des talibans. Dans le même temps, le nombre de civils étrangers présents en Afghanistan dans le cadre de contrats avec des gouvernements, notamment des agents de sécurité, augmente rapidement. La nouvelle stratégie qui vise à maîtriser l'insurrection met l'accent sur l'aide et le développement. Mais à-t-elle des chances de succès? Moises Naim, rédacteur en chef du magazine Foreign Policy, est pessimiste.
A quoi consacrera-t-on le plus de place dans la biographie de Barack Obama: la guerre en Afghanistan ou la réforme du système de santé américain? Nous avons là deux audacieux paris historiques qu'Obama a engagés durant sa première année à la Maison Blanche. Il a déjà gagné l'un des deux: le système de santé de son pays sera réformé. Moins que ce qu'il faudrait, mais bien plus que ses prédécesseurs ont obtenu. Le résultat concret de cette réforme est que les Américains seront mieux soignés qu'aujourd'hui. En revanche, le pari d'Obama en Afghanistan comporte bien plus de risques et, malheureusement, il a beaucoup moins de chances de le réussir.
Pour commencer, on ne peut pas considérer l'«escalade militaire» en Afghanistan comme un pari. Un haut fonctionnaire du gouvernement d'Obama très impliqué dans la prise de décision m'a très justement fait remarquer: «Dans un pari, on a le choix. Le choix de faire quelque chose ou non. Dans le cas présent, le président n'a jamais eu le choix de ne pas renforcer notre présence en Afghanistan. Les généraux n'ont jamais proposé au président une alternative crédible à l'envoi de troupes en renfort. Depuis le départ, ils privilégiaient l'escalade, et le président à fini par accéder à leur requête.»
Bien qu'Obama ait répondu aux attentes du Pentagone, il l'a fait avec réticence et en imposant certaines conditions. La première était de fixer une date pour le retrait des troupes. Dans son discours, Obama a indiqué que les troupes commenceraient à se retirer d'Afghanistan en juillet 2001, c'est-à-dire seulement 11 mois après le déploiement de 30.000 soldats supplémentaires. Mais dès le lendemain du discours du président, Robert Gates, le secrétaire à la Défense ainsi que d'autres hauts responsables sont venus «assouplir» cet engagement. «Il s'agit de la date à laquelle nous commenceront à réduire progressivement le nombre de soldats [stationnés en Afghanistan]», a précisé Gates. Il a souligné que le rythme de cette diminution dépendra de la situation à ce moment-là. Et d'ajouter: «J'ai horreur du concept de «stratégie de sortie»; nous n'allons pas jeter les Afghans à l'eau et partir sans avoir accompli notre mission». Il sait qu'il a affaire à un ennemi patient qui pense en termes de décennies, et face auquel un pays qui réfléchit en mois et annonce son retrait avant de commencer à attaquer, ne peut pas être efficace. Il y a comme une incompatibilité là-dedans: soit les Américains allongent la durée de leur mission militaire en Afghanistan, soit ils en réduisent l'ambition.
Affaiblir suffisamment les insurgés, empêcher qu'al Qaïda utilise le pays comme base pour des opérations et doter les forces armées afghanes de la capacité de maintenir l'ordre et la sécurité nationale sont des tâches qui requièrent assurément plus de 14 mois. J. Alexander Thier, un expert qui a vécu en Afghanistan pendant sept ans, souligne que, malgré une augmentation substantielle des troupes étrangères et des fonds destinés à l'aide économique, la situation empire de jour en jour.
En 2002, 69 soldats de la coalition dirigée par les Etats-Unis sont morts au combat. Cette année, les pertes humaines s'élèvent déjà à plus de 500 hommes (rien qu'en août, 77 soldats occidentaux sont morts). Selon les calculs de Thier, le nombre de civils afghans morts dans ce conflit a doublé chaque année depuis 2002. Les bombes et les attentats suicides terroristes qui était auparavant quasi inexistants sont aujourd'hui monnaie courante. La production d'opium est passée de 3.400 tonnes en 2002 à 7.700 en 2008! Ce qui signifie que l'argent disponible pour financer les insurgés a également augmenté de façon spectaculaire. Et tout cela s'est produit après huit ans de présence d'une coalition formée par 40 nations et malgré le fait que les Etats-Unis à eux seuls aient dépensé 227 milliards de dollars sur cette période pour tenter de stabiliser la situation en Afghanistan.
Tout le monde comprend que l'escalade militaire contre les talibans et les autres insurgés en Afghanistan ne saurait être un succès si elle n'est pas accompagnée d'une stratégie efficace visant à obtenir le soutien de la société. Cela implique, entre autre, de mieux protéger la population civile, d'augmenter l'emploi et de diminuer la corruption. Ce ne sont pas des tâches aisées.
L'une des principales exigences de Washington est que le président afghan Hamid Karzaï fasse preuve de véritables progrès en matière de diminution de la corruption. Il est évident que Karzaï peut faire plus dans ce domaine. Mais sa marge de manœuvre est limitée. D'une part parce que les leaders corrompus qui l'entourent ont plus de pouvoir politique et financier que lui et, d'autre part, parce qu'aucun pays n'a réussi à faire baisser son taux de corruption au cours de ces dernières décennies - jusqu'à preuve du contraire.
En résumé, les généraux ont appelé Obama à leur fournir du renfort militaire. Il a finalement accepté sous certaines conditions. Des troupes supplémentaires iront bien en Afghanistan, mais les conditions requises par le président américain ne seront pas remplies. Et c'est ce qu'on lira dans les mémoires de Barack Obama.