Moisés Naím

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Obama est-il un homme fini?

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

La cote de popularité du président américain Barack Obama est passée pour la première fois en dessous des 40 %, selon un sondage Gallup publié dimanche. Selon l'étude, 39 % des Américains approuvent l'action du président, contre 54 % de mécontents.

Stupide. Pathétique. Ridicule. Frustrant. Enfantin. Honteux. Ce sont les adjectifs qui reviennent le plus souvent dans la bouche des Américains interrogés par le Pew Research Center sur les négociations relatives à la dette des Etats-Unis.

Lamentables tractations

Indépendamment de leur catégorie sociale, de leur lieu de résidence, de leur âge ou de leur couleur politique… des sympathisants du Tea Party habitant dans le Kansas aux professeurs de gauche de l’Université de Californie à Berkeley, en passant par les banquiers de Wall Street et les chômeurs de Détroit, ils sont unanimes: le spectacle fut lamentable, et tous ses acteurs en ressortent perdants. Certains plus que d’autres, mais nous y reviendrons plus loin.

Dans l’enquête du Pew Center, 75% de ceux qui soutiennent le parti républicain expriment un avis extrêmement négatif à propos des négociations et de leur issue (c’est-à-dire de l’accord trouvé). Côté démocrate, 72% partagent la même opinion, ainsi que 72% des sondés dits indépendants. Etonnamment, les plus critiques de tous (83%) sont les militants du Tea Party.

Je dis «étonnamment», parce qu’il est évident que le texte finalement conclu reflète bien plus les positions initiales du Tea Party que celles des démocrates, de la Maison Blanche ou des républicains modérés.

Tea Partiers, extorqueurs

Le fait qu’ils soient insatisfaits vient confirmer que les membres du Tea Party ne se seraient contentés de rien – sauf d’une victoire absolue. Michelle Bachmann, l’une des leaders très en vue du mouvement, a fait savoir très clairement que l’accord conclu in extremis n’est pas satisfaisant, et que ce n’est pas la menace de la suspension de paiement de la dette de la première puissance économique qui la ferait changer d’avis.

Le Tea Party s’est livré à une extorsion politique de la pire espèce. Ses leaders et membres du Congrès ont une arme à leur disposition, leur veto, qu’ils sont prêts à utiliser si leurs exigences ne sont pas satisfaites. Bien qu’ils soient peu nombreux , leur extravagant radicalisme, leur discipline et leurs chantages agressifs pour parvenir à leurs fins leur confèrent un pouvoir excessif, non proportionnel à leur nombre.

«Des coupes de bouchers»

L’accord de relèvement du plafond de la dette ne stimulera pas la croissance et ne stabilisera pas l’économie. Il ne permettra pas non plus de corriger les disparités croissantes au niveau de la distribution des revenus – lesquelles disparités caractérisent l’économie américaine depuis quelques années. Cet accord n’attirera pas les investissements publics indispensables pour que les Etats-Unis puissent moderniser leurs infrastructures et les étendre dans le pays.

Les réductions budgétaires décidées sont grossières; ce ne sont pas des neurochirurgiens mais plutôt des bouchers qui en sont à l’origine. Ces coupes ne sont pas stratégiques, pas intelligentes. Elles ne s’inscrivent pas dans une vision large de l’avenir des Etats-Unis. Finalement, cet accord n’est qu’un vulgaire dispositif visant à diminuer au maximum la capacité d’expression du gouvernement, voire à le faire disparaître de certains domaines – ce qui en arrangerait beaucoup.

Les analystes économiques se sont empressés de charger Obama, le taxant d’indécision, de faiblesse. Ils l’accusent d’avoir réagi trop lentement et de s’être montré craintif face au Tea Party. C’est un looser naïf. A droite comme à gauche, et y compris parmi les démocrates, on n’a pas tari de critiques sur le président. Beaucoup ont eu l’impression d’avoir été trahi par cet homme. Celui-là même qui, il y a quelques années, les avait inspirés comme aucun chef politique n’avait su le faire depuis des décennies.

Obama pas réélu en 2012?

De nombreux observateurs estiment qu’Obama ne sera pas réélu à la présidentielle de 2012. Je ne suis pas de cet avis. En politique, le temps est autre et, d’ici au 6 novembre 2012, date de l’élection, il y a une éternité. Tout peut arriver.

Il serait donc prématuré de tirer des conclusions politiques si radicales. Mais il y a bien une certitude: à l’échéance de la présidentielle, les douloureux effets des coupes budgétaires que le Tea Party a réussi à arracher au Congrès et à la Maison Blanche se seront largement fait sentir. Y compris au sein de la classe moyenne, qui se tourne désormais vers les ultraconservateurs.

L’extrémisme et l’irrationalité des mesures façonnées par le Tea Party sauteront alors aux yeux. Leurs idées seront plus difficiles à défendre. Cette tendance se dessine d’ailleurs déjà peu à peu: 42% des Américains interrogés par le Pew Center disent être moins convaincus par les républicains du Congrès (contre seulement 30% s’agissant des démocrates). 37% mésestiment les membres du Tea Party…

Le Tea Party ressortira à coup sûr sa politique d’extorsion pour influer sur le choix du candidat républicain qui s’opposera à Obama en 2012. Pour qu’il soit acceptable aux yeux des Tea Partiers, ce candidat devra dire ce genre d’absurdités: «Les Etats-Unis ne sont vraiment pas loin de ne plus être une économie de marché». C’est ce qu’a lancé Mitt Romney au moment de sa déclaration de candidature à la présidentielle. On peut s’attendre à ce que le Tea Party demande à son candidat d’exprimer des propos encore plus extrêmes. Qu’importe s’ils sont aussi mensongers que ceux de Romney.