Moisés Naím

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Murdoch, le Tea Party et la dette américaine

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Avant la tragédie norvégienne, deux faits d’actualité mobilisaient l’attention de la communauté internationale. L’un, très important, mais fastidieux: les négociations visant à permettre au gouvernement américain de continuer à emprunter. Le second, moins «important», mais captivant: la comparution de Rupert Murdoch et de son fils, James, devant une commission parlementaire britannique.

Comme chacun sait, les tabloïds de Murdoch sont accusés d'avoir pratiqué des écoutes téléphoniques illégales (auprès de dirigeants politiques, de membres d’une famille royale, de stars de cinéma, de la mère d’une fillette assassinée et de victimes des attentats du 11-Septembre à New York – rien que ça). La justice reproche aussi à ces journaux d’avoir acheté des policiers dans le but d'obtenir de la matière à scandales pour leur une.

Quelle image!

Murdoch acculé à la télévision: paradoxale aubaine pour les chaînes du petit écran! Un des hommes les plus puissants du monde faisant amende honorable, déclarant que c’est le jour le plus humiliant de sa vie. Avançant qu’il ignorait tout des méfaits commis par ses journaux et rejetant la faute sur ses subordonnés. A ne manquer sous aucun prétexte! Et comment détourner les yeux du téléviseur alors que Wendi Deng (43 ans), la séduisante épouse chinoise de Murdoch père (80 ans) venait d’assaillir un jeune homme qui avait tenté d’entarter son mari? Incontournable!

Pendant le déroulement de ce mélodrame à Londres, à Washington, démocrates et républicains poursuivaient leurs longues et ennuyeuses tractations pour éviter que mercredi (le 3 août), le Trésor américain – en d’autres termes, le ministère des Finances de la superpuissance mondiale – soit en défaut de paiement . La seule façon d’y parvenir est que le Congrès américain relève le plafond légal d'endettement public... ce qui vient enfin d'être fait.

Certains députés et sénateurs du parti républicain ont tenté de profiter de ces négociations pour défendre une réduction des dépenses publiques et de l’énorme déficit budgétaire des Etats-Unis.

L’objectif fait (presque) consensus

Les démocrates ont le même objectif et reconnaissent qu’il faut opérer des coupes, à condition qu'on augmente les impôts des plus riches et que les plus démunis ne soient pas lésés. Les deux camps ont raison et, de façon générale, les réformes proposées sont effectivement nécessaires.

Ceux qui se fourvoient sont assurément les députés du mouvement du Tea Party, qui ont tenté d’user de leur influence au cours de ces négociations pour imposer des changements radicaux en matière de dépenses et d’impôts. Leurs propositions versaient tellement dans l'extrême qu’elles ont même surpris la base républicaine généralement favorable au mouvement. Les nouveaux députés du Tea Party, qui expriment avec véhémence au Congrès les frustrations de la classe moyenne affectée par la crise, cherchaient également à infliger une défaite cuisante à Barack Obama.

Le Tea Party, indigné, excentrique, radical et intransigeant, n’est pas une branche supplémentaire du parti républicain. Selon une enquête du Washington Post réalisée en octobre 2010, 87% des militants du Tea Party disent avoir trouvé leurs soutiens auprès des populations insatisfaites des leaders républicains. Comme quoi, ce n’est pas le parti démocrate qui leur posait le plus problème, mais paradoxalement leurs alliés idéologiques les plus proches: les républicains.

Les ultras du Tea Party peuvent remercier Murdoch

D'une certaine manière, les membres du Tea Party représentent une menace pour le parti républicain, car ils aspirent à supplanter ses leaders traditionnels, auxquels ils reprochent, entre autres, leur disposition à conclure des accords avec leurs rivaux démocrates. Les membres du Congrès issus du Tea Party ont un idéal en contradiction avec cette réalité: dans une démocratie, la politique implique de faire des compromis. Eux se fichent de faire échouer les négociations sur le seuil d’endettement, de forcer le gouvernement à adopter un moratoire sur le paiement des salariés, fournisseurs et créanciers. Ou même que tout cela puisse déclencher une crise financière mondiale.

Quel rapport entre la dette américaine et Rupert Murdoch? Il se trouve que le Tea Party doit sa fulgurante ascension et son influence à FoxNews . La chaîne d’info du magnat autralo-américain a fait la promotion du Tea Party en 2009, alors qu’il s’agissait encore d’un groupuscule de conservateurs de la classe moyenne extrêmement mécontents de leur condition et de la situation du pays. La chaîne de Murdoch a donné une bonne place au message populiste du Tea Party, qui a naturellement séduit certaines catégories sociales. Jusqu’à ce que le mouvement acquiert rapidement son statut actuel et un surprenant nombre de députés aux législatives de 2010. Sans FoxNews, le Tea Party aurait bien sûr de toute façon existé, mais jamais avec cette ampleur.

A eux seuls, les députés de ce mouvement ont mis en péril un accord indispensable pour la stabilité financière de la planète. Il est en outre édifiant de constater à quel point un seul individu, en l’occurrence Rupert Murdoch, peut influer sur le cours de l’économie mondiale.