Moisés Naím

View Original

Les nouveau-nés du Tea Party

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Les membres du Tea Party élus au Sénat américain à l’occasion des élections des midterms auront une grande influence. Ils défendent des idées extrêmement conservatrices et, comme les autres candidats, ils ont abordé très peu de sujets internationaux pendant la campagne électorale.

Pas de sexe avant le mariage, mais après, faites des bébés!

Il y autre chose dont on n’a pas parlé jusqu’ici mais dont les répercussions internationales potentielles sont considérables: le Tea Party abhorre le planning familial. Rand Paul, icône du mouvement qui vient d’être élu au poste de sénateur, a dénoncé les politiques visant à maîtriser la croissance démographique. A ses yeux, elles sont le fruit de «gouvernements qui ont peur de voir trop de gens respirer, trop d’êtres humains». Sarah Palin, la reine du Tea Party, rejette tout type d’éducation sexuelle pour les adolescents qui ne repose pas sur des programmes prônant l’abstinence jusqu’au mariage. Le fait que sa fille, Bristol, soit tombée enceinte à 17 ans sans être mariée et qu’elle ait déclaré que l'abstinence chez les adolescents n’est pas réaliste n’y a rien fait. La mère Sarah est persuadée que cette méthode est efficace. Pourtant, c’est à la jeune Palin que la réalité des chiffres et le bon sens donnent raison.

Quel rapport avec le reste du monde? Il faut savoir que les Etats-Unis sont la principale source de financement des programmes d’éducation sexuelle, de planning familial, de santé sexuelle et reproductive et de contraception dans les pays les plus touchés par la surpopulation. Or les nouveaux élus du Parti républicain l’ont déjà annoncé, ils veulent couper les fonds affectés à ces objectifs.

Le danger démographique ignoré

Replaçons tout cela dans un contexte plus large. A un moment donné, quelque part, l’année prochaine, un bébé symbolique naîtra. Sa naissance portera la population planétaire à 7 milliards d’habitants. En 1900, le monde ne comptait que 1,5 milliard d’habitants. En 1950, ce chiffre avait atteint 2,5 milliards. En 1980: 4,4 milliards; en 1990: 5,3 milliards. Aujourd’hui: 6,9 milliards. C’est bien une croissance exponentielle et, par ailleurs, inégale.

Certains pays se dépeuplent. D’autres connaissent une explosion démographique. En Europe de l’Ouest (y compris la Russie), la population passera de 296 millions d’habitants en 2005 à 219 millions d’individus en 2050. En même temps, 60% de l’humanité vit dans des pays où le taux de croissance démographique est élevé.

Elizabeth Leahy Madsen, experte de Population Action International (une organisation sans but lucratif qui n’accepte pas de dons de la part des gouvernements et dont je préside le conseil d’administration) estime qu'un milliard de personnes vit dans des pays pauvres. Dans ces pays, les femmes font en moyenne quatre enfants, ce qui engendre un doublement de la population tous les 35 ans. S’appuyant sur des données des Nations unies, Leahy Madsen explique que si on ne réduit pas les taux de fécondité trop élevés, la population des 49 pays les plus pauvres du monde dépassera celle de l’ensemble des pays développés d’ici une quinzaine d’années. L’Ouganda illustre dramatiquement cette réalité. Les Ougandaises ont en moyenne six enfants. Or, en 2009, ce pays a n’a créé que 100.000 emplois. Si cette tendance ne s’inverse pas, l’Ouganda sera forcé de créer un million et demi d’emplois chaque année d’ici quelques décennies – ce qui relèverait du miracle. En tout cas, une chose est certaine: en l’absence de modifications démographiques, l’Ouganda produira plus d’un million et demi de chômeurs d’ici 20 ans!

Souffrance, misère, violence et réfugiés… qu’importe!

Les conséquences en termes de souffrance humaine, de pauvreté, de violence ou de migrations internationales seraient saisissantes et on ne peut plus prévisibles. Plus grave encore, quand on interrompt l’accès aux programmes de santé reproductive, d’éducation sexuelle et contraceptive, le nombre d’adolescentes enceintes et les taux de mortalité chez les femmes augmentent à un rythme rapide. Toutes les études sérieuses montrent qu’il n’y a pas d’investissement dont les bénéfices sociaux soient plus grands que celui destiné à prévenir la grossesse à l’adolescence. Chez les mères adolescentes, le taux de scolarisation est plus faible, le chômage plus élevé et le nombre d’enfants supérieur. En outre, ces enfants sont en mauvaise santé; leur poids et leur taille sont inférieures à la moyenne.

Le plus tragique là-dedans, c’est que tout cela est parfaitement évitable. Mais pas pour le Tea Party, semble-t-il…