Comment rendre les sanctions internationales «intelligentes»
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Les sanctions internationales ont-elles la moindre efficacité et sont-elles même légitimes? Pour certains, les sanctions pénalisent les populations du pays visé et non son gouvernement. Si Saddam Hussein et ses proches n’ont pas souffert de la pénurie de médicaments, les petits Irakiens en ont été affectés. D’autres estiment que les sanctions internationales ne fonctionnent pas. La Corée du Nord, par exemple, n’a pas changé de politique bien qu’elle soit sous le coup de sanctions internationales depuis plusieurs dizaines d’années. Les sanctions sont aussi très largement perçues comme une expression brutale du pouvoir des puissants. Généralement, ce sont effectivement les grandes puissances qui infligent des sanctions à des pays plus petits et plus faibles.
Une autre critique faite aux sanctions: elles fournissent aux tyrans une parfaite excuse pour justifier leur autoritarisme et les conditions d’indigence qu’ils imposent à leur peuple. Sans compter le fait qu'elles renforcent les sentiments nationalistes qui rassemble la nation contre l’agresseur étranger. Plus utile encore, s’agissant d’une agression internationale, un gouvernement peut plus facilement accuser les dissidents de traîtrise envers la patrie et les faire emprisonner.
Un pis-aller pour éviter la guerre
Malgré l’impopularité des sanctions et leurs défauts manifestes, il s’agit d’un instrument de plus en plus utilisé en politique internationale – et c’est tant mieux. Pourquoi donc? C’est bien simple, l’autre possibilité, c’est la guerre. Les conflits internationaux ne sont pas près de disparaître. Or, une fois les initiatives diplomatiques épuisées, il faut se réjouir que les gouvernements disposent d’autre chose que des bombes dans leur arsenal. Heureusement qu’en de telles circonstances, les gouvernements peuvent solliciter des avocats spécialisés dans les sanctions, au lieu de n’avoir comme seul choix de se tourner vers des généraux en vue de déclencher une guerre ou une invasion.
Ces dernières années, la communauté internationale s’est efforcée de trouver des sanctions «intelligentes». Il s’agit en fait de dispositifs plus «personnalisés» dans la mesure où ils visent directement des hautes personnalités politiques et leur famille. Saisie de leurs biens, gel de leurs comptes à l’étranger et restrictions des voyages. Ces sanctions sont également bien plus sophistiquées du point de vue financier. Actuellement, même les pays les plus isolés et sous-développés sont fortement tributaires de leur accès au système financier international. Les sanctions qui limitent cet accès ont donc un impact considérable sur eux. Ces nouvelles modalités se fondent également sur les réseaux logistiques complexes du commerce international moderne afin de contrôler et de restreindre les échanges (importations et exportations) des pays sanctionnés.
Aussi intelligentes soient-elles, les sanctions auront toujours leurs défauts. En outre, leur efficacité dépend du consensus et de la volonté politique de beaucoup de pays. L’exemple de Cuba montre que l’embargo américain ne sert à rien, puisque le gouvernement cubain continue d’obtenir tout ce dont il a besoin grâce à des pays amis. C’est pourquoi l’un des succès majeur attribué à l’administration Obama, c’est d’avoir réussi à rallier la Chine et la Russie, aux côtés de l’Europe et de l’Asie, autour des sanctions contre l’Iran.
Contre l’Iran, les sanctions ont une certaine efficacité
Des banques et assurances ont cessé de traiter avec les entreprises iraniennes; l’arraisonnement de navires marchands en haute mer ou dans les ports est pratiqué; les actifs de certaines personnes ou organisations, telles que les Gardiens de la révolution, sont gelés; les déplacements à l’étranger des dirigeants iraniens sont limités. Ces mesures punitives pénalisent également les pays et entreprises étrangères qui vendent de l’essence ou du pétrole raffiné à l’Iran, ou l’aide à augmenter sa capacité de raffinage du pétrole.
Bien que ces sanctions soient très récentes (elles ont été adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU il y a quelques mois), leur impact se ressent déjà. Des groupes pétroliers, par exemple l’italien ENI ou le français Total, ont déjà annoncé la suspension de leurs activités en Iran. Un ministre iranien a indiqué que les importations d’essence avaient atteint leur plus bas niveau depuis dix ans; l’inflation et le chômage ont augmenté et l’activité économique du pays ralentit.
Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, président de l’Iran de 1989 à 1997 et aujourd’hui à la tête de l’Assemblée des experts (un groupe de 86 religieux qui a le pouvoir de démettre de ses fonctions le Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei), a exhorté l’Assemblée des experts de ne pas sous-estimer les nouvelles sanctions: «Nous n’avons jamais subi de sanctions aussi sévères; et elles le sont de plus en plus. A chaque fois que nous trouvons le moyen d’y échapper, les autorités occidentales nous y empêchent.»
Espérons que ces sanctions fonctionneront et amèneront à la table des négociations les pays visés pour rechercher des compromis. Car s’il y a une chose intelligente à faire, c’est d’éviter une autre guerre.