A Davos, on parle d'argent. A Munich, on parle de guerre.
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Depuis plus de 40 ans, les principaux magnats des affaires se rendent chaque année à Davos pour rencontrer leurs pairs venus du monde entier. Et depuis presque un demi-siècle également, les «sommités de la guerre» se retrouvent tous les ans à Munich.
Ministres de la Défense et des Affaires étrangères, généraux et amiraux, chefs de services de renseignement et experts en renseignement militaire, scientifiques, sans oublier les dirigeants des plus grandes industries de guerre, assistent chaque année à la Conférence de Munich, la rencontre internationale majeure sur le thème de la sécurité.
Cette conférence est une bonne occasion de prendre la température pour jauger les préoccupations de ceux qui prennent les décisions en matière de paix et de guerre dans le monde. (Sans pour autant les prendre trop au sérieux, bien sûr.) Les chefs d'entreprise et les économistes qui étaient présents à Davos n'ont pas vu venir la crise économique; eh bien, les experts de la sécurité réunis à Munich en 2001 ont aussi été surpris par les attentats contre le World Trade Center —comme tout le monde. Quoi qu'il en soit, les sujets dominants de cette rencontre et les conversations de couloir ont le mérite de refléter l'état d'esprit de ces personnages influents.
Un suje: la Chine
«La Chine, la Chine et encore la Chine»: c'est la réponse que m'a faite un haut fonctionnaire à qui j'ai demandé de me citer les thèmes clés. «Et, bien sûr, l'Afghanistan, l'Iran et le terrorisme sont aussi des préoccupations importantes, mais sur tous ces sujets, la Chine est désormais un acteur qu'on ne peut exclure des conversations et des stratégies. Les Chinois le savent, et ça se voit. Même leur langage corporel a changé».
Cette année, le protagoniste de Munich, c'est Yang Jiechi, le ministre chinois des Affaires étrangères. Ce dernier a assuré aux participants que son pays serait une force positive dans le monde et contribuerait à la paix, tant que prévaudrait ce qu'il a appelé «un esprit de coopération». Il s'est servi de ces affirmations comme toile de fonds pour déplorer, comme il n'a eu de cesse de le faire, les énormes ventes d'armes américaines à Taiwan. Le chef de la diplomatie chinoise a également réitéré que la priorité de son pays ne peut être autre que d'arracher à la misère la grande majorité de ses compatriotes.
Bien que la priorité de la Chine soit son développement économique - et c'est normal -, le géant asiatique ne se désintéresse pas de son pouvoir militaire. Il dispose du plus gros effectif militaire au monde (2,25 millions d'hommes, soit 0,17 % de sa population). Viennent ensuite les Etats-Unis avec 1,5 millions de soldats, soit 0,5 % de sa population), l'Inde, la Corée du Nord et la Russie. Il est évident que la puissance militaire dépend autant, voire plus, de l'argent et de la technologie que du nombre de soldats. Le budget militaire des Etats-Unis correspond à 50 % des dépenses militaires globales du reste de la planète! Ceux de la Chine et de la Russie représentent respectivement 8 % et 5 % du cumul des budgets militaires du monde entier. Il n'y a que 25 pays - presque tous ceux du Moyen-Orient - dont le budget militaire dépasse celui des Etats-Unis (proportionnellement à la taille de leur économie). La superpuissance américaine est le principal exportateur d'armes: 68 % des ventes dans le monde.
Les Talibans et les pirates
Ces chiffres colossaux n'ont pourtant pas été suffisants pour mettre en échec les ennemis les plus dangereux de l'Amérique. Al-Qaïda, les talibans et les pirates somaliens occupent plus que jamais l'esprit de tous les responsables de la sécurité. L'organisation terroriste n'a pas cessé d'être une menace, bien qu'elle soit affaiblie et que nombre de ses chefs soient morts, aient été neutralisés ou capturés. En fait, Al-Qaïda est davantage une menace du fait de sa capacité d'inciter des individus ou des petits groupes à agir de façon autonome, encourageant par là même d'autres terroristes islamiques; ce n'est pas grâce à ses rares opérations centralisées. Par ailleurs, les talibans ont forcé le gendarme du monde - qui dispose du matériel militaire le plus perfectionné - à trouver des alternatives fondées sur le dialogue et la concertation puisque, manifestement, défaire les talibans militairement est impossible ou serait trop lourd sur les plans humain et financier. (Notons que les pirates du Golfe d'Aden poursuivent aussi leurs opérations même s'ils doivent affronter la flotte multinationale la plus sophistiqué de notre temps.)
Depuis plusieurs décennies, on constate que les conflits armés entre les pays diminuent. En revanche, les guerres civiles, les insurrections, les rébellions armées et tous les modes de guerres possibles entre des acteurs qui n'ont aucun rôle à jouer à Munich (ou dans d'autres conférences de ce genre) sont en hausse. Ce sont ces conflits qui demeureront la principale menace à la paix mondiale, pas une Chine qui monte en puissance!