Moisés Naím

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2012 ou le combat contre les inégalités

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Les inégalités économiques, tel sera le principal thème politique de 2012. Ce pronostic est d’autant plus sûr que cette année, des élections suivies de changements de gouvernement sont attendues dans des pays qui totalisent 50% de l’économie mondiale. Dans tous ces pays, les manifestations contre les inégalités et les promesses de les réduire ne feront que raviver un débat international déjà très enflammé.

Les inégalités n’ont rien de nouveau. La nouveauté, c’est l’intolérance que montre désormais la population face à elles. Cette attitude récente s’est d’abord manifestée avec force dans les pays les plus riches et souffrant le plus de la crise et, de là, elle s’est propagée dans le reste du monde. La grande majorité d’hommes et de femmes en proie au chômage et à l’austérité, celles et ceux qui doivent faire énormément de sacrifices, ont commencé à s’intéresser à la manière dont les revenus sont distribués dans leur pays. Le monde a longtemps accepté docilement les disparités – même si ces périodes de passivité ont toujours été interrompues par des révolutions au nom des inégalités.

Tandis que dans les pays ayant un régime autoritaire, les gouvernements font tout leur possible pour passer sous silence les grands écarts de revenus entre riches et pauvres, en Afrique ou en Amérique latine, ces inégalités sont criantes. Les responsables politiques n’ont de cesse de les dénoncer; le peuple les supporte stoïquement. Dans d’autres pays, on célèbre cette situation. Aux Etats-Unis, par exemple, les artistes, les sportifs ou les inventeurs dont le succès se traduit par des fortunes mirobolantes, suscitent une grande admiration et sont érigés en modèles de réussite.

L'inégalité légitime et l'inégalité scandaleuse

Mais les choses bougent. Partout dans le monde, l’idée que le combat contre les injustices sociales est futile ou inutile est devenue indéfendable. Parvenir à une distribution équitable des richesses ou des revenus n’a rien d’évident, on le reconnaît volontiers. Mais il est désormais beaucoup plus difficile de fermer les yeux sur cet état de choses ou de soutenir que l’on n’y peut rien.

L’examen minutieux des faits et gestes du pour cent le plus riche de la planète est devenu une obsession. Ces gros titres du Los Angeles Times – «Les six héritiers de Walmart sont plus riches que la totalité des 30% d’Américains aux plus bas revenus» illustrent bien cette tendance. De même, les plus farouches représentants de la droite radicale américaine attaquent Mitt Romney parce qu’il est très riche et qu’il paie peu d’impôts. En Russie, l’une des principales plaintes contre Vladimir Poutine concerne le spectacle honteux qu’offrent les oligarques qui amassent des fortunes colossales au Kremlin pendant que les Russes ordinaires sont obligés de travailler dur.

Bien évidemment, cette dynamique de dénonciation des riches n’est pas du goût de tous. Jamie Dimon, le président de JPMorgan Chase, a déclaré, exaspéré: «Je ne comprends pas et je n’accepte pas que l’on critique le succès ou que l’on prenne l’attitude que tous ceux qui réussissent sont mauvais. Je ne le comprends pas du tout.» Si Jamie Dimon est perplexe, c’est parce qu’il part du principe que la richesse est une façon pour la société de stimuler et de récompenser l’innovation, le talent et le travail. En d’autres termes, que ceux qui sont riches ont du mérite.

Ce n’est pas toujours vrai. Les immenses fortunes et les inégalités peuvent également trouver leurs origines dans la corruption, la discrimination, les monopoles, les comportements capitalistes abusifs ou encore les actes délictueux, comme ceux de l’escroc Bernard Madoff. La liste des plus grandes fortunes comprend de nombreux milliardaires qui doivent leur pactole plus à l’Etat qu’au marché.

Ainsi, les spécialistes des inégalités les comparent souvent au cholestérol: il y a la bonne inégalité et la mauvaise. Il s’agit de favoriser la bonne et de maintenir la mauvaise au niveau le plus faible possible.

Le principal défi auquel nous sommes actuellement confrontés peut se résumer en ces termes: il faut réduire les inégalités sans desservir d’autres objectifs (investissement, innovation, prise de risques, travail, productivité). Par le passé, on a déployé d’innombrables expériences visant à créer une société plus égalitaire. Contreproductives, elles ont entraîné plus d’inégalités, de pauvreté, de retards, de pertes de liberté – et même des génocides.

En même temps, les inégalités ont des effets pernicieux. Outre les considérations morales évidentes, les preuves abondent selon lesquelles de fortes inégalités nuisent à la santé d’une nation: elles engendrent de l’instabilité politique, plus de violence et portent également préjudice à la compétitivité et, à long terme, à la croissance.

Cette année verra naître une foule de propositions pour corriger les disparités qui se sont accentuées au cours des dernières décennies. Dans certains cas, il s’agira d’idées anciennes – et probablement mauvaises –, dépoussiérées et présentées comme neuves. Mais dans le lot, certaines devraient aussi être inédites et très bonnes. Il faut espérer que les électeurs, ainsi que celles et ceux qui pourront contribuer à ce que certaines idées soient mises en œuvre et d’autres écartées, auront tiré des enseignements de l’Histoire. Comme chacun sait, ne pas répéter les erreurs du passé est un exercice plus difficile qu’il n’en a l’air.