L'Occident n'est pas au cœur du terrorisme islamiste
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Vendredi 26 juin fut un jour de terreur. En Tunisie, un terroriste a assassiné 38 touristes et blessé 39 autres personnes sur une plage près d'un grand hôtel. Au Koweït, un kamikaze s’est fait exploser dans une mosquée chiite. Bilan: 26 morts et 227 blessés. L’État islamique a revendiqué ces deux tueries. En Isère, un homme a provoqué des explosions dans une usine de gaz industriels et décapité son employeur. Selon les autorités, Yassin Salhi, l’auteur présumé de cette attaque, aurait eu des liens avec des groupes islamistes.
Pour l’heure, aucun élément ne permet de dire que les attentats perpétrés en Tunisie, en France et au Koweït ont été coordonnés, ou sont reliés d’une manière ou d’une autre. Mais ces actes reflètent très clairement une tendance: le terrorisme islamique est une menace qui progresse. Alors, ces attentats et d’autres du même acabit seraient-ils bel et bien le fruit d’un «choc des civilisations», théorie popularisée par le professeur de Harvard Samuel Huntington au début des années 1990? Selon cet auteur, une fois épuisée la confrontation entre les deux idéologies communiste et le capitaliste, les principaux conflits internationaux se joueront entre des pays aux identités culturelles et religieuses antagonistes.
«Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur», écrivait-il en 1993.
Chiites contre sunnites
Pour beaucoup, les attentats signés al-Qaida, les guerres d’Afghanistan et d’Irak, et la naissance de l’État islamique confortent ce point de vue. Mais dans la réalité, les conflits ont plus fait rage au sein des civilisations qu’entre elles. Devant les images des JT, les discours officiels et la multiplication des débats qui se tiennent à la radio ou sur la Toile, on pourrait facilement croire que le conflit le plus sanglant du XXIe siècle oppose musulmans intégristes et non-musulmans. C’est tout simplement faux. Les statistiques prouvent que les terroristes islamistes ont tué un plus grand nombre de leurs coreligionnaires que de non-musulmans.
Les hostilités entre chiites et sunnites continuent de faire des victimes, dont la plupart sont musulmanes. En outre, on a tort de croire qu’aux États-Unis, les principaux attentats terroristes ont été perpétrés par des musulmans radicalisés. Ce sont, de fait, des Américains racistes –dont beaucoup appartiennent à des mouvements qui croient dur comme fer à la suprématie de la «race blanche»– qui sont les auteurs du plus grand nombre de morts dans des actes terroristes menés aux États-Unis. L’exemple le plus récent est celui de Dylan Roof, ce jeune de 21 ans qui a tué 9 personnes et fait un blessé dans une église fréquentée par la communauté noire à Charleston (Caroline du Sud).
La France est au 56e rang de l'indice du terrorisme mondial
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon l’Indice du terrorisme mondial de l’Institut pour l’économie et pour la paix, 2013 a vu périr près de 18.000 personnes dans des attentats terroristes. 82% de ces décès se sont produits dans seulement 5 pays: Irak, Afghanistan, Pakistan, Nigeria et Syrie. Les responsables de 66% des victimes mortelles du terrorisme sont l’État islamique, Boko Haram, les talibans et al-Qaida.
En revanche, au cours des quatorze dernières années, seuls 5% des attentats terroristes meurtriers ont été mis à exécution dans des pays de l’OCDE (le groupe des pays les plus industrialisés). Depuis l’an 2000, 90% des attentats-suicides ont eu lieu au Proche-Orient, au Maghreb et dans le sud de l’Asie (principalement au Pakistan et en Afghanistan). Sur les 162 États étudiés dans l’Indice du terrorisme mondial, l’Irak occupe la première place en termes de victimes. Tandis que la France, à titre d’exemple, se classe au 56e rang.
Les statistiques concernant le terrorisme aux États-Unis sont tout aussi édifiantes. Une étude qui vient d’être publiée par la Fondation New America révèle que depuis le 11-Septembre, les actes terroristes dont les auteurs sont des blancs racistes ou d’autres extrémistes non musulmans ont presque fait le double de tués que les attaques imputables à des musulmans (48 morts pour les premiers contre 26 pour les seconds). De plus, les attentats terroristes menés sur le sol américain sont relativement rares. Depuis le 11-Septembre, on dénombre 19 attentats commis par des non-musulmans et 7 accomplis par des islamistes.
Ce qui précède ne signifie pas que le terrorisme islamique n’est pas une menace importante. Hélas, il est fort probable qu’il continue de s’internationaliser. Mais même en de telles circonstances, on peut supposer que les premiers à faire les frais du terrorisme islamique seront des musulmans. Idem aux États-Unis, où tout semble indiquer un phénomène en marche: les Américains racistes continueront de représenter une menace certaine pour leurs compatriotes. Alors que le terrorisme n’est pas près de disparaître, l’important est de le combattre en s’appuyant sur des réalités, pas sur des idées reçues.