Ce sont les drones qui devraient inquiéter Angela Merkel, pas les écoutes de la NSA
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Angela Merkel a récemment vécu deux contretemps. Le premier a fait le tour des médias, suscitant d’âpres débats dans le monde entier. Du second, on a peu parlé, et ses répercussions ont été mineures. C’est pourtant le deuxième incident qui mérite la plus grande attention, car ses conséquences en matière de sécurité internationale pourraient être majeures.
Les «grandes oreilles de l’Amérique»
Premier incident. La chancelière allemande est tellement furieuse qu’elle a téléphoné à Barack Obama pour lui signifier son mécontentement: l’Agence de sécurité américaine n’avait pas à écouter ses conversations téléphoniques! Elle a ajouté que les relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis avaient été sérieusement mises à mal.
Angela Merkel n’est pas la seule à s’être courroucée contre Obama. Dilma Rousseff, la présidente brésilienne, a annulé une visite d’Etat à Washington après avoir appris que les Etats-Unis l’espionnaient. François Hollande crie lui aussi au scandale. De même que le président du Conseil italien, Enrico Letta. A la suite des révélations selon lesquelles les services de renseignement américain et britannique avaient mis sur écoute les réseaux téléphoniques d’Italie, il a déclaré indigné:
«La pratique de ce type d’espionnage est inconcevable et inacceptable.»
Ah, vraiment? Inconcevable et inacceptable? Inacceptable d’accord, mais inconcevable, pas du tout. Il est aussi concevable qu’un chef d’Etat se fasse espionner que ce dernier espionne à son tour ses rivaux et même ses alliés.
D’ailleurs, sommes-nous sûrs que Barack Obama est plus coupable que ses homologues russe et chinois, ou que n’importe quel autre dirigeant qui dispose d’une technologie lui permettant de savoir ce que disent les puissants de ce monde au téléphone ou dans un courriel?
Au fond, ce qui change la donne, c’est le fait qu’ait été rendu public ce que tout le monde savait, mais feignait de ne pas savoir. L’un des immenses impacts des révélations de Wikileaks et d’Edward Snowden est le suivant: en matière de diplomatie, l’hypocrisie n’est plus un outil facile à utiliser. C’est du reste la thèse d’un passionnant article cosigné par Henry Farrell et Martha Finnemore, récemment publié dans le magazine Foreign Affairs.
Tous les gouvernements du monde tiennent en public des discours auxquels ils nient adhérer en privé. Qui plus est, tous les Etats savent des choses sur leurs alliés qu’ils ne peuvent pas reconnaître ouvertement. Les fuites provoquées par Bradley Manning et Edward Snowden supposent à présent des risques accrus pour les gouvernements qui formulent une position en public et font autre chose en privé. Il leur est plus difficile de prétendre qu’ils ne savaient pas. Merkel, Rousseff et tous les autres dirigeants outrés par la «découverte» que les services de renseignement américains les espionnaient le savaient. Et ils ne pourront plus faire semblant de l’ignorer.
Et si ça avait été une bombe?
Le retentissement de cette affaire restera sans doute relativement limité en comparaison de ce qui est arrivé à Angela Merkel le 15 septembre dernier, à Dresde. Ce dimanche-là, la chancelière participait à un meeting de campagne en plein air. Elle était accompagnée, sur l’estrade, d’autres responsables politiques, notamment de son ministre de la Défense, Thomas de Maizière.
Tout se déroulait très bien, jusqu’à ce qu’un bourdonnement se fasse entendre. Puis, on a vu apparaître un petit drone, un aéronef télécommandé. L’engin s’est dirigé tout droit vers l’estrade avant de se poser de manière chaotique à quelques mètres d’Angela Merkel. Les photos de la scène montrent la chancelière affichant un sourire perplexe; son ministre de la Défense semble avoir un regard glacial.
De quoi s’agissait-il? Sans tarder, le Parti pirate allemand a revendiqué l’opération. Le vice-président du parti a expliqué que c’était une manière de faire comprendre à la chancelière et au ministre de la Défense ce que l’on ressent quand on est soi-même observé par un drone. C’était en somme une dénonciation de la surveillance de l’Etat allemand. Le petit drone en question était commandé à distance par un jeune de 23 ans. Arrêté par les autorités, il expliquera qu’il comptait prendre des photos de Merkel à l’aide de l’appareil photo qu’il avait installé sur l’objet volant.
Les implications de cette affaire sont aussi évidentes que terrifiantes.
Que ce serait-il passé si, au lieu d’un appareil photo, ce drone transportait un explosif? Puisqu’on trouve aujourd’hui des drones de toutes tailles et à tous les prix, comment empêcher qu’ils ne tombent entre les mains de déséquilibrés prêts à tuer ou de terroristes? Et si l’on commençait à utiliser ces engins pour tuer en série dans des complexes sportifs ou sur des places publiques?
Le XXIe siècle a vu naître deux dispositifs militaires révolutionnaires: les engins explosifs improvisés (IED en anglais), très répandus en Irak ou en Afghanistan, où ils font de nombreuses victimes, et les drones. La combinaison de ces deux technologies pourrait créer un nouveau phénomène. Au lieu d’exploser sur les chemins de terre de pays lointains, les explosifs improvisés pourraient se mettre à tomber du ciel sur les grands centres urbains du monde.
Un drone artisanal portant un explosif, téléguidé par des mains meurtrières: ce n’est pas tant de la mise sur écoute de son téléphone portable que de cela, dont devrait avoir peur Madame Merkel.