2013 va changer le monde
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Silvio Berlusconi a quitté le pouvoir, Angela Merkel a été réélue. Nelson Mandela et Hugo Chávez se sont éteints. Pas Fidel Castro. Les rues de Kiev, de Bangkok, du Caire et de São Paulo ont été investies par des manifestants. L’Iran s’est installé autour de la table des négociations avec les Etats-Unis pour la première fois depuis 24 ans. La Chine a choisi un nouveau président et a fait emprisonner un autre dirigeant. L’apprenti-tyran nord-coréen Kim Jong-un a fait exécuter son oncle. Pour la première fois en 700 ans, un pape a renoncé et a été remplacé par un Latino-Américain qui nous enthousiasme tous. Certaines des actualités de cette année n’ont eu qu’un impact limité sur le plan international. D’autres, au contraire, façonnent l’avenir. Il m’est naturellement impossible de tout citer ici, mais je vous propose cinq changements qui me paraissent transcendants.
1.Les Etats-Unis, puissance énergétique montante
Cette tendance se profilait depuis quelques années déjà, mais 2013 a dissipé tous les doutes: la croissance extraordinaire de la production de gaz et de pétrole aux Etats-Unis est une réalité qui va changer la face du monde.
Ces cinq prochaines années, l’Amérique du Nord dans son ensemble produira chaque jour près de 4 millions de barils de brut supplémentaires, de sorte que ses importations diminueront de moitié. Non seulement les Etats-Unis seront-ils autosuffisants, mais encore pourraient-ils exporter de l’énergie.
Les conséquences de cette situation sont à la fois considérables et de diverses natures. En voici quelques-unes. Le Proche-Orient subira un important choc économique et politique. L’influence de la Russie et d’autres Etats pétroliers sera amoindrie. Cette abondance énergétique favorisera l’essor de l’industrie manufacturière américaine. Dans le même temps, la grande disponibilité d’hydrocarbures freinera le développement des énergies renouvelables –ce qui est une bien fâcheuse nouvelle.
2.Les Etats-Unis, superpuissance mondiale discréditée
Le monde a vu un Barack Obama bien impuissant sur divers fronts. Il n’a pas pu mettre à exécution ses menaces de sanctionner Bachar el-Assad si ce dernier avait recours à des armes chimiques. Obama n’a pas réussi à éviter le shutdown provoqué par le Tea Party, ni à faire fonctionner le site Internet de son cheval de bataille: la réforme du système de santé.
Le président américain a subi l’annulation de la visite à Washington de la présidente brésilienne après le scandale des écoutes téléphoniques de la NSA. Dilma Rousseff s’est jointe à Angela Merkel et à d’autres dirigeants pour réprimander Obama. Comme chacun sait, cette affaire avait fait suite aux révélations d’Edward Snowden, lesquelles représentent assurément l’un des événements géopolitiques les plus extraordinaires de l’année.
L’impression qui s’est répandue dans le monde entier à propos des Etats-Unis est la suivante: non seulement la superpuissance commet des actes abusifs, mais en plus, elle est incapable de le faire intelligemment. Barack Obama passe pour un leader affaibli, qui se soumet devant des acteurs de second plan tels que Bachar el-Assad, Dilma Rousseff ou le Tea Party. Ces perceptions sont exagérées et elles évolueront avec le temps. Mais en politique, les perceptions constituent une part de la réalité. Aussi, l’image de la plus grande puissance mondiale paralysée par une «administration à l’arrêt» et un président à qui le pouvoir de décision et d’exécution fait défaut influera certainement sur les calculs et les actes de ses alliés et rivaux.
3.La nouvelle agressivité internationale de la Chine
En novembre, la Chine a annoncé des restrictions du trafic aérien dans un vaste espace comprenant des îles revendiquées par le Japon. Les Etats-Unis ont réagi en envoyant deux bombardiers B-52 survoler la zone, sans en demander l’autorisation à Pékin. Le Japon en a fait autant et a réitéré sa souveraineté sur ce territoire. Au-delà des tensions qui perdurent, on peut en conclure que cet incident augure vraisemblablement d’une politique internationale plus agressive de Pékin ces prochaines années.
4.L’Iran, la Syrie, l’Egypte, la Palestine, Israël et bien plus encore…
Le Moyen-Orient ne connaît jamais d’année facile. Mais 2013 fut pleine de surprises dont certaines conditionneront le futur. Le renversement de Mohamed Morsi et la tragédie en Syrie; les négociations sur le programme nucléaire iranien; les pourparlers engagés en juillet entre Israéliens et Palestiniens et censés déboucher sur un accord final mi-2014.
Il se peut qu’aucun de ces rapprochements n’aboutisse, mais ils montrent bien que l’agitation qui fait rage au Moyen-Orient a des conséquences qui dépassent cette année et cette région.
5.Guerre ouverte aux inégalités
De tout temps, les inégalités ont existé. Les scientifiques et les journalistes s’y intéressent régulièrement, mais cette année, le pape François, le président américain et des millions de personnes défilant dans les rues ont dénoncé la brèche de plus en plus béante qui sépare les riches des pauvres. Un nombre croissant de gouvernements, d’institutions et de citoyens s’efforceront de renverser cette tendance –et c’est heureux. Le défi consiste cependant à lutter contre les inégalités sans laisser de pouvoir à des démagogues qui, de fait, finissent par aggraver la situation.