Zika, Daech et Trump: même combat!
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
L’un est un virus, le second une organisation terroriste et le dernier, Trump, eh bien… c’est Trump. Ils ont tous trois pris le monde de court et ont un dénominateur commun qui ne saute pas aux yeux. Ce sont les versions du XXIe siècle de phénomènes anciens: les épidémies, le terrorisme et la démagogie.
L’épidémie de Zika a éclaté en 2015, Daech (ou le groupe État islamique -EI) est né en 2013, et Donald Trump a annoncé sa candidature à la présidence des États-Unis en 2015. Mais leur apparition n'est pas nouvelle. C’est en 1947 que l’on a découvert le virus Zika sur un singe dans une forêt ougandaise. Les dirigeants de Daech ont quant à eux effectué un long parcours dans d’autres groupes terroristes islamistes. Et, en 1987 déjà, Donald Trump avait confié aux médias son intention de participer à la course à la Maison Blanche. Incapable de le faire à cette époque, le milliardaire s’est présenté en l’an 2000 aux primaires du Parti de la réforme au titre de la présidentielle américaine.
Des caractéristiques sans précédent
Épidémies, terroristes et démagogues ont de tout temps existé, mais ceux dont je parle ici ont surpris la communauté internationale de par leurs caractéristiques sans précédent et à plus forte raison parce que nous n’avons pas les réponses permettant de contrecarrer leurs effets pernicieux.
On pense que le virus Zika se transmet principalement par le moustique de l’espèce Aedes aegypti. En février, l’Organisation mondiale de la santé a indiqué qu’aussi bien la recrudescence au Brésil de cas de nourrissons présentant des microcéphalies (cerveau et périmètre crânien de taille inférieure à la normale) que les récentes victimes du syndrome de Guillain-Barré (une maladie rare qui perturbe le systèmes nerveux) constituent une préoccupante situation d’urgence de santé publique internationale.
Si le moustique incriminé est bien connu des autorités sanitaires et de la communauté scientifique, ce n’est pas le cas du nouveau virus dont il est le vecteur. D’importants investissements ont été engagés pour empêcher la propagation de l’épidémie. Dans le même temps, les chercheurs redoublent d’efforts pour tenter de mettre au point un vaccin et des traitements. Mais notre méconnaissance de cette menace et de la manière de la combattre nous laisse en réalité bien démunis face aux ravages sanitaires de ce virus ancien, qui a acquis une nouvelle puissance.
Il en va du virus Zika comme du terrorisme islamiste. La «politique de la terreur» existe depuis longtemps, mais c’est son caractère de plus en plus meurtrier avec des bilans humains sans précédent, qui donne l’impression d’un phénomène nouveau. À côté de la barbarie récente imputable à Boko Haram ou à l’EI, les crimes déjà abominables du Hezbollah ou du Hamas passent presque pour des actes modérés. Même les sunnites d'al-Qaida prennent leurs distances des violences des chiites de l’EI, jugées inacceptables. Le commandement général de l’organisation autrefois dirigée par Oussama Ben Laden a publié en 2014 un communiqué dans lequel il récuse tout lien avec l’EI: «Al-Qaida n’est pas responsable des actes [de l’État islamique]».
C’est autre chose…
Non seulement les stratégies et les opérations de l’EI ont surpris al-Qaida, mais elles ont aussi déconcerté des gouvernements rompus à la lutte contre le terrorisme islamique de par leur cruauté, leur efficacité et leurs méthodes de recrutement et de financement, la maîtrise des réseaux sociaux (une nouveauté) ainsi que les tactiques militaires employées. Les diverses agences renseignement des pays menacés par l’EI le reconnaissent encore et encore avec résignation: «l'État islamique, c’est autre chose».
Concernant la montée de Donald Trump, que les cadres du Parti républicain tentent d’empêcher, même son de cloche. Les analystes politiques n’auraient jamais imaginé que cet entrepreneur fortuné arriverait si loin dans la course à l’investiture républicaine: «Trump, c’est autre chose», entend-on.
À l’instar de l’EI s’agissant du terrorisme, la démarche de Trump en matière de politique ne connaît pas de précédent. Et il n’y a pas que ses discours menaçants et ses autres propositions agressives: Trump affiche aussi une attitude séditieuse vis-à-vis des médias et de l’establishment de son parti. Il recourt aussi à des modes de financement novateurs pour sa campagne. Quant à sa faculté de convaincre des millions de citoyens à coup de promesses irréalistes, elle laisse perplexes les observateurs qui continuent de se poser cette question: comment peut-on croire qu’il suffit que Trump soit président pour que tout aille mieux?
L'effet mondialisation
Autre point commun de Zika, l’EI et Trump: les trois sont en partie le fruit de la mondialisation. Selon la revue Science, le virus est passé de la Polynésie française au Brésil. Le nombre de touristes qui se sont rendus au Brésil ayant augmenté à l’occasion de la Coupe du monde de football (2014) et puisqu’il est aujourd’hui facile de voyager, le virus s’est propagé rapidement. À ce jour, des cas ont été recensés dans 30 pays et territoires de l’ensemble du continent américain.
De son côté, l’EI doit sa force à la mondialisation, qui lui permet de recruter facilement des djihadistes en Europe. Il peut renvoyer en Occident des terroristes qui se sont entraînés ailleurs, vend du pétrole et gère ses finances à l’échelle internationale en levant notamment des fonds dans le monde entier.
Et que serait Donald Trump sans les Mexicains qui, selon ses dires, «envahissent» les États-Unis, sans les 11 millions d’«étrangers clandestins» qu’il promet de renvoyer chez eux ou sans les travailleurs chinois qui mettent au chômage des millions d’Américains? À bien des égards, ce capitaliste républicain est aussi anti-mondialisation que ses adversaires bien plus à gauche.
Voilà donc trois manifestions modernes de phénomènes anciens, mais dans des nouvelles versions renforcées et d’autant plus redoutables.