Obama décevant, mais avant tout déçu!
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
La liste des déceptions causées par le président américain est longue et varie en fonction de chaque groupe. Certains reprochent à Obama de ne pas avoir fermé la prison de Guantanamo, d’autres, d’avoir utilisé des drones, de ne pas être intervenu militairement en Syrie, de l’avoir fait en Libye ou d’avoir pactisé avec l’Iran. Sans oublier qu’aux États-Unis, les banquiers dont les agissements ont provoqué la crise financière n’ont pas été inquiétés, ni que les inégalités sont toujours aussi fortes et certains salaires aussi bas. Ce n’est, bien sûr, que le début de cette liste.
Barack Obama répond en mettant l’accent sur les aspects positifs de son bilan, en comparant la situation actuelle qu’il laisse à son successeur avec la grave crise dont il a hérité et en soulignant les restrictions financières, politiques et internationales qui l’ont empêché d’aller plus loin. Il est évident qu’Obama a touché du doigt les limites du pouvoir qui marquent notre époque. D’où sa propre liste de déceptions. S’il a désillusionné beaucoup de gens, c’est réciproque.
Dernièrement, Barack Obama s’est livré à une analyse publique de son expérience présidentielle. Dans de longs entretiens avec des journalistes et des discours où il livrait ses réflexions, le président a évoqué certaines de ses désillusions.
1. Une Europe irresponsable
La plus évidente vient peut-être de quelques dirigeants de pays alliés, en particulier David Cameron et Benyamin Netanyahou. Dans une grande interview accordée à Geoffrey Goldberg et publiée dans The Atlantic, Obama a très franchement blâmé le Premier ministre britannique, mais aussi d’autres dirigeants européens comme Nicolas Sarkozy, pour avoir plongé la Libye dans le chaos qui y règne aujourd’hui. Selon le chef de l'État américain, la stabilisation et la reconstruction de la Libye après la chute de Mouammar Kadhafi incombaient à l’Europe, qui a encore une fois ignoré ces problèmes de manière irresponsable, espérant que Washington viendrait à sa rescousse et s’en chargerait.
L’incapacité de l’Europe à jouer un rôle international proportionnel à son poids dans le monde est l’une des déceptions les plus manifestes d’Obama pendant sa mandature à la Maison Blanche. Il le savait déjà, mais il en a eu la confirmation. Et il a personnellement constaté l’échec de l’Europe, paralysée dans les négociations qui sont essentielles pour son propre avenir, alors que c’est une puissance mondiale.
2. Netanyahou, partenaire «déloyal, ingrat et méprisant»
Le Premier ministre israélien en aussi pris pour son grade. Il faut dire qu’il a été une source constante d’irritation pour son homologue américain. Obama est convaincu de s’être conduit en allié loyal, généreux et fiable d’Israël, tandis que Netanyahou a été un partenaire déloyal, ingrat et méprisant. La détermination de ce dernier à rester au pouvoir malgré l’ouragan qui secoue la politique intérieure de son pays l’a amené à se comporter de façon inacceptable pour qui prétend être un allié.
Son célèbre discours devant le Congrès américain à la veille des élections israéliennes (préparé dans le dos de la Maison Blanche, en concertation avec les dirigeants du Parti républicain), au cours duquel Netanyahou a critiqué la politique d’Obama, n’est que l’un des nombreux coups qui ont certainement eu raison de la sympathie que pouvait ressentir au départ le président américain pour «Bibi».
3. Le monde arabe en échec
Selon le président américain, les dirigeants des principaux pays arabes, en particulier l’Arabie saoudite, n’ont pas non plus été à la hauteur de leurs responsabilités. Obama a été très explicite au sujet de l’urgence avec laquelle cette région devrait aborder les dysfonctionnements et les échecs qui interdisent à des centaines de millions de jeunes de saisir les opportunités du monde d’aujourd’hui sans abandonner leur foi, ni leurs traditions. Il a également rappelé la nécessité de surmonter l’affrontement séculaire entre sunnites et chiites qui entraîne des violences et des souffrances indicibles. Obama se rend bien compte que ses exhortations à cet égard sont tombées dans l’oreille de sourds. Et c’est de cette surdité que se nourrit l’une des principales sources d’instabilité du monde contemporain.
4. Les élites américaines
Mais la plus grande frustration du président états-unien vient peut-être des élites de son propre pays. Des élites de plus en plus fragmentées et dont le besoin de défendre leurs privilèges les rend incapables d’agir avec une vision à long terme au niveau national. En cela, elles ne sont pas les seules et reflètent une tendance mondiale observable dans des pays de plus en plus nombreux.
Dans le cas des États-Unis, Obama l’a dit sans ambages: la classe politique actuelle est incapable d’arrêter Donald Trump, après avoir elle-même légitimé pendant des années la rhétorique à courte vue du candidat quasi certain à la présidence au nom du Parti républicain. Certains groupes, qui ont proclamé que faire dérailler la présidence d’Obama était leur priorité, ont semé le doute sur la véritable nationalité du président, suggéré la possibilité que ce soit un musulman radical infiltré dans la Maison Blanche et que sa réforme de la santé conduirait à la création de «comités de la mort» (Death Panels) qui décideraient quels seniors auraient droit à quels traitements médicaux. Comme l’a répété Marco Rubio, le véritable but d’Obama aurait été d’affaiblir les États-Unis.
Face à tout cela, qui ne serait pas déçu?