Moisés Naím

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Les trois guerres de Trump (et les suivantes…)

Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra

Qu’un chef d’État entre en conflit avec ses adversaires politiques ou ait des altercations avec des dirigeants de pays étrangers n’a rien d’anormal. Que les gouvernements et les médias ne s’entendent pas est également un phénomène habituel et même très sain. On comprend aussi qu’un président s’oppose à la bureaucratie de l’administration qui, selon lui, traîne les pieds pour mettre en œuvre les politiques qu’il a promises. Normal.

Ce qui est anormal, c’est la diversité, l’intensité, la dangerosité et, parfois, la banalité qui caractérisent les conflits que fomente le nouveau président des États-Unis. Mais Donald Trump n’est pas un président normal…

En général, les présidents fraîchement élus bénéficient au début de leur mandat d’un état de grâce, une période de forte popularité. Ce n’est pas le cas de Trump, qui affiche la cote de popularité la plus basse jamais enregistrée dans les sondages. Ses tentatives de concrétiser ses principales promesses électorales sont en train d’échouer. Il doit composer avec les enquêtes parlementaires visant des membres de son administration, dont certains se sont déjà vu contraints de démissionner. En outre, le président Trump ne parvient pas à effectuer les remplacements aux postes clés désormais vacants, qui lui permettraient d’assurer une meilleure gestion du pays.

Confrontation

Les fuites en provenance de la Maison-Blanche sont légion. Le rapide essor de la Chine sur la scène internationale se produit au détriment des États-Unis, qui s’en retirent peu à peu. Il en va de même de la Russie, dont le président Poutine tente d’influer sur les scrutins en Europe comme il l’a fait pour la présidentielle américaine.

Au vu de cette nouvelle donne, on serait tenté de se dire que Trump devrait essayer d’apporter un peu de stabilité à cette situation en nouant des alliances. En réalité, il fait tout le contraire. Au lieu de la conciliation, il cherche la confrontation. Au lieu de supprimer des fronts de bataille, il en ouvre de nouveaux. Au lieu de rassembler, il divise. Voici les trois principales guerres internes de Donald Trump. Et il y en a d’autres à venir…

1. La guerre contre son propre parti

Toutes les formations politiques ont des factions, et le Parti républicain ne déroge pas à cette règle. Les querelles intestines auxquelles il est en proie ont empêché l’adoption de la loi prévoyant le démantèlement de l’Obamacare (la réforme santé mise en œuvre par Barack Obama). Comment Trump a-t-il réagi? «Nous devons nous battre contre eux», a-t-il déclaré, faisant référence aux membres de son parti qui n’ont pas soutenu sa proposition. Trump a également fait savoir qu’aux élections législatives de 2018, il adouberait des candidats qui empêcheront la réélection des membres du Congrès qui s’opposent à lui.

Les réactions des républicains dissidents ne se sont pas fait attendre: «L’intimidation ne marche pas (…). Ces menaces peuvent fonctionner à l’école primaire, mais dans notre gouvernement, cela ne se passe pas ainsi (…)» Les deux camps auront beau faire croire qu’ils ont dépassé leurs différends, on constatera que ces divisions ont des effets durables. Trump continuera de faire la guerre à ceux qui ne favorisent pas ses initiatives. Même si cela implique de lutter ouvertement contre les responsables de son propre parti.

2. La guerre contre les agences de renseignement

Les services de renseignement des États-Unis emploient plus de de 100.000 personnes réparties dans dix-sept agences. Si, par le passé, il a pu y avoir des frictions entre le milieu du renseignement et la Maison Blanche, le conflit n’avait jamais pris une telle ampleur. Trump a martelé que ces agences étaient aussi malhonnêtes que les médias, qui propagent des de fausses informations. Il les a aussi qualifiés de «nazis».

De leur côté, les agences de renseignement ont publié un rapport dont la conclusion est que le Kremlin a influé sur les élections américaines et que Vladimir Poutine affiche une claire préférence pour Donald Trump. James Comey, le directeur du FBI a confirmé qu’une enquête était en cours sur la possible collusion, pendant la campagne électorale, entre des membres de l’équipe de Trump et des agents du renseignement russe. Depuis, le président américain a expliqué qu’il faisait davantage confiance aux services de renseignement américains et le justifie ainsi: «Nous y avons installé des "gens à nous".» C’est sûr. Il n’en reste pas moins que près de 100.000 personnes ne sont toujours pas des «gens à Trump».

3. La guerre contre la Réserve fédérale

Le conflit contre la banque centrale des États-Unis n’a pas encore démarré, mais il s’annonce déjà… Les présidents veulent des taux d’intérêts plutôt bas: cela relance en général la consommation et stimule l’activité économique ainsi que l’emploi. Mais, revers de la médaille, le déficit budgétaire se creuse, la quantité de monnaie en circulation croît et, par conséquent, les prix repartent à la hausse. La banque centrale a donc pour mission de relever les taux d’intérêts pour diminuer les risques d’un regain d’inflation et d’autres maux économiques. Là encore, des tensions entre des gouvernements et leur banque centrale, on en retrouve un peu partout. Mais en l’espèce, celui qui oppose Trump à la «Fed» pourrait dégénérer et entraîner de graves conséquences économiques.

Lorsqu’il n’était encore qu’un candidat, Trump avait déjà donné son avis sur la présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen. «Elle devrait avoir honte d’elle-même», avait-il lancé. Pourquoi? Tout simplement que Janet Yellen avait déclaré qu’il faudrait peut-être augmenter les taux d’intérêts…

Au-delà de ces trois grandes guerres internes auxquelles se livre le nouveau président des États-Unis, son caractère belliqueux s’exprime aussi dans les relations internationales de son pays. Et le plus grand danger serait que ses défaites au niveau national ne le poussent à chercher noise à des nations étrangères. Il ne serait évidemment pas le premier dirigeant politique à se servir d’un conflit sur la scène internationale pour détourner l’attention des difficultés qu’il rencontre dans son pays. En la matière, Poutine aurait de quoi lui donner des leçons.