Les micro-implications des macro-problèmes de la Chine
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Dans une précédente chronique, je décrivais les difficultés économiques que traverse la Chine. La plus faible croissance depuis vingt-cinq ans, la fuite massive de capitaux, d’énormes dettes impossibles à recouvrer et un fort recul sur le marché boursier: quelques-uns des signes que l’économie du géant asiatique ne va pas bien. Les chocs macroéconomiques génèrent toujours des turbulences dans d’autres domaines.
Voici quelques micro-événements qui ont des macro-implications pour la Chine, son gouvernement, sa population et, inévitablement, pour nous tous.
1. Le Parti communiste réprime la classe ouvrière
En janvier 2011, la Chine a connu huit interruptions du travail. En janvier 2016, il y en a eu 503. Selon le China Labour Bulletin, 2.774 grèves se sont étalées sur tout 2015, soit deux fois plus qu’en 2014. L’agitation croissante des travailleurs a conduit le gouvernement à réprimer très durement les actions des dirigeants syndicaux. Les observateurs internationaux font savoir que, même si les organisations syndicales chinoises ont toujours subi des attaques systématiques et des pressions de la part du gouvernement (contrôles fiscaux, violence mafieuse, harcèlement policier, etc.), la répression s’est récemment intensifiée. Selon un article paru dans le Washington Post, et dont le titre parle de «cruelle ironie», «le Parti communiste, semble-t-il, est déterminé à éradiquer le militantisme syndical».
2. Les patrons se volatilisent
On l’appelle le Warren Buffet chinois. Guo Guangchang est un milliardaire qui contrôle la plus grande entreprise privée de Chine, Fosun. En décembre 2015, Guo a disparu. Le bruit a couru qu’il «collaborait à certaines enquêtes menées par les autorités». Quelques jours plus tard, sans véritable explication, il est réapparu et a présidé l’assemblée générale des actionnaires de Fosun.
Yang Zezhu, l’un des leaders les plus connus du secteur financier chinois, a connu un sort bien pire que celui de Guo. En janvier, il s’est défenestré, laissant derrière lui une note expliquant son suicide: l’organe disciplinaire du Parti communiste enquêtait sur lui pour des «raisons personnelles».
Ce ne sont là que deux exemples d’un nombre surprenant de chefs d’entreprise qui ont «disparu», démissionné, soudainement émigré ou été arrêtés. Sur cette liste, figure le gratin des milieux d’affaires. On sait que l’une des priorités du président Xi Jinping est la lutte contre la corruption. La disparition et l’arrestation de certains entrepreneurs est donc certainement une manifestation de cette croisade. Mais, visiblement, la lutte anti-corruption sert également à éliminer ses rivaux potentiels et à consolider son pouvoir.
3. Les livres disparaissent aussi
Je parle des livres de comptes. Récemment, la police a dû mobiliser deux tractopelles pour déterrer 1.200 livres de comptes cachés au creux d’un trou très profond dans le cadre de l’une des plus graves fraudes financières jamais commises en Chine. Ding Ning, 34 ans, est le fondateur d’Ezubao, une société privée de prêts entre particuliers. Elle avait promis un rendement de 15% par an à ceux qui lui confiaient leur argent, ce qu’ont fait 900.000 personnes. Et on sait maintenant qu’elles ont perdu 7,6 milliards de dollars, que Ding a utilisés à des fins personnelles. L’affaire Ezubao est la plus grosse et la plus visible des fraudes qui gangrènent le secteur financier chinois. Mais ce n’est pas la seule. Editeurs, libraires et écrivains...
L’éditeur Lee Bo, 65 ans, un citoyen britannique résidant à Hong Kong, a également disparu en décembre. Son épouse a porté plainte à la police, affirmant que Lee avait été enlevé et emmené à Pékin. Quelques jours plus tard, elle a retiré sa plainte et a expliqué que son mari avait fait ce voyage volontairement pour assister la police chinoise dans une enquête. Quatre autres personnes associées à des publications de Lee sont portées disparues depuis l’année dernière. Petit détail: Lee est connu pour publier des livres qui critiquent des dirigeants chinois.
Un autre éditeur, Yiu Mant-in, 73 ans, prépare la sortie de Xi Jinping, le parrain chinois, un livre critique dont le dissident Yu Jie est l’auteur. Mais ayant été condamné à dix ans de prison, il n’a pas pu le publier. Son crime? Le gouvernement l’a accusé d’avoir apporté quelques pots de peinture industrielle de Hong Kong à Shenzhen sans acquitter les droits de douane. Naturellement, la répression que subissent les éditeurs a pour effet que les livres incendiaires disparaissent et que leurs auteurs s’exilent, se cachent ou cessent d’écrire.
4. Les mots et les chiffres s’évanouissent aussi
Le professeur Francis Fukuyama vient d’identifier les mots qui ont disparu de l’édition chinoise de son dernier livre. Parmi eux: Mao, manifestations sur la place Tiananmen, la grande famine, la corruption et l’État de droit. Il y a aussi une longue liste de mots qui ne figurent pas dans les moteurs de recherche sur internet ou qui sont supprimés quand ils apparaissent sur les réseaux sociaux. Également volatilisées, des données statistiques essentielles pour évaluer la situation économique de la Chine. D’autres ont clairement été falsifiées.
En bref, censure, propagande, désinformation, intimidations, emprisonnement de dissidents, de militants, d’hommes d’affaires et de toute personne qui proteste contre le gouvernement. Telles sont les réponses de Pékin aux conséquences sociales et politiques de la crise économique. Les gouvernements aggravent souvent une crise par leurs réactions. Voilà en partie comment.