Les dix faits qui ont marqué 2015
Slate / Moisés Naím et traduit par Micha Cziffra
Difficile de dire d’ores et déjà de quels événements il s’agit. Des situations qui nous semblent aujourd’hui phénoménales peuvent finir par s’avérer dérisoires. Il se peut également que les événements de 2015 qui paraissent déjà importants aujourd’hui aient, en effet, des conséquences spectaculaires et deviennent des faits incontestablement historiques.
Un bon exemple est la Conférence des Nations unies sur l’environnement, la fameuse COP (Conférence des parties) 21 qui s’est tenue à Paris entre fin novembre et début décembre. Plus de 200 États s’y sont engagés à déployer des efforts pour réduire leurs émissions de CO2, qui contribuent au réchauffement de la planète. Si ces engagements sont respectés, la COP21 sera un exploit pour l’humanité tout entière. Historique. Dans le cas contraire, ce sera un énième sommet qui aura fait beaucoup de bruit pour rien.
Mais certaines «nouvelles» de 2015 ne sont pas si difficiles à jauger. Cette année, nous avons aussi vécu des événements dont l’importance laisse peu de place au doute. L’un d’entre eux s’est produit dans notre système solaire, l’autre sur Terre.
Je vous propose ma liste tout à fait idiosyncrasique et arbitraire des faits d’actualité survenus en 2015 qui pourraient bien entrer dans l’histoire.
1. Eau sur Mars
La Nasa détecte des traces d’eau sur Mars. Fin septembre, l’agence spatiale américaine annonce que ses scientifiques ont trouvé les indices les plus convaincants jusqu’ici de l’existence d’eau liquide (par opposition à la glace ou à la vapeur d’eau) sur la planète Mars. Ce qui laisse entrevoir deux implications de taille: certaines parties de la planète rouge pourraient être habitables; il se peut aussi que l’on y découvre certaines formes de vie. À suivre, donc.
2. Record de chaleur
Cette année est la plus chaude de l’histoire depuis le début des relevés de températures: le record de 2014 a été battu. Mais ce triste cap historique risque en fait d’être lui aussi dépassé. En effet, les experts prévoient que la température moyenne mondiale pourrait encore augmenter en 2016. Nous faut-il d’autres signes pour mesurer l’urgence de la situation?
3. Accord de la COP21
Plus de 200 pays conviennent de réduire leurs émissions de CO2. Voilà une nouvelle de 2015 que l’on pourra qualifier de bonne à condition que ces pays respectent scrupuleusement et durablement les engagements qu’ils ont pris à Paris. Malgré cela, certains estiment que les mesures prises sont insignifiantes et interviennent trop tard. D’autres se disent qu’enfin, à Paris, s’est engagé un processus historique d’une importance capitale. Pourvu qu’il en soit ainsi. Car il y va de l’avenir de la civilisation telle que nous l’avons connue jusqu’ici.
4. Croissance chinoise en berne
La croissance chinoise tourne au ralenti. Ce qui se passe en Chine nous concerne tous, où que nous vivions. Et cette année a vu l’apparition de nombreux maux économiques qui ont affecté le géant asiatique, au premier rang desquels un taux de croissance en baisse. De combien, exactement? On l’ignore. Face aux chiffres officiels (une croissance affichée de 7% en 2015), les experts sont sceptiques et pencheraient pour un taux bien inférieur. La question est de savoir si l’on a affaire à un simple ralentissement qui durera deux ou trois ans… Ou si c’est un véritable déraillement de l’économie chinoise qui fait qu’elle mettra bien plus longtemps à reprendre sa vitesse de croisière. Nous le verrons bien. Mais, cette année, la Chine s’est révélée plus fragile qu’il n’y paraissait.
5. Chute des coûts des matières premières
Les cours internationaux des matières premières chutent considérablement. En particulier ceux du pétrole. Résultat, beaucoup de pays émergents sont entrés en crise. La baisse de la demande de matières premières de la part de la Chine ainsi qu’une abondance inespérée d’or noir ont provoqué cette année une baisse de 34% des commodities (jusqu’à 80% en dessous de leur prix maximum). Le pétrole coûte actuellement 30 dollars le baril contre près de 100 dollars il y a à peine deux ans. De la Russie à l’Indonésie en passant par le Venezuela et l’Argentine, les pays qui dépendent de leurs exportations internationales de matières premières sont dans un très mauvais cas. Ils subissent d’importants ajustements économiques dont une bonne partie risquent d’avoir des retombées politiques majeures.
6. Crise des migrants
Un million de migrants affluent en Europe. C’est cinq fois plus qu’en 2014 et, selon l’Organisation internationale pour les migrations, cela représente la plus importante circulation des personnes qu’ait connue le continent depuis la Seconde Guerre mondiale. Non seulement la crise de l’immigration est une terrible tragédie humanitaire, mais elle suscite également un grave dilemme institutionnel. L’Europe va-t-elle répondre à l’avalanche de migrants par une plus grande intégration et un travail collectif? Ou le fera-t-elle au prix d’une fragmentation et de l’établissement de barrières, de frontières et d’obstacles nouveaux entre les pays?
7. Fissures des dynaties latino-américaines
Fini l’hégémonie, en Amérique latine, des gouvernements qui sont restés au pouvoir ces cent dernières années. Brésil, Argentine, Venezuela, Bolivie, Équateur et Nicaragua ont eu les mêmes gouvernants ou, disons, la même élite politique au pouvoir durant tout le XXe siècle. Ces pays ont bénéficié des prix élevés de leurs matières premières, et leurs dirigeants ont énormément augmenté les dépenses publiques, ce qui leur a valu une grande popularité. Ils ont profité de la situation pour impulser un hyper-populisme sans précédent, tolérer des niveaux de corruption jamais vus, déployer des efforts systématiques –et parfois brutaux– pour parer à toute tentative de limiter leur suprématie et prolonger indéfiniment leurs mandats. Avec la chute des prix de leurs exportations et les preuves croissantes de l’échec de la plupart des politiques –et des responsables qui en sont les instigateurs–, l’hégémonie des oligarchies et des dynasties latino-américaines régnantes commence à se fissurer. Cette classe politique n’est pas en voie d’extinction et continuera de jouir d’une certaine influence. Mais moindre que jusqu’à présent, en tout cas.
8. Donald Trump inarrêtable
Donald Trump change la donne politique aux États-Unis. En 2015, la grande surprise n’est pas tant que le milliardaire et ses ignobles messages aient rencontré un tel succès chez les sympathisants du Parti républicain. Ce qui est encore plus incroyable, c’est que ce parti –une machine politique qui compte parmi les plus anciennes et les plus efficaces au monde– n’ait pas réussi à stopper Trump. Les leaders de l’establishment républicain savent que Trump et son discours portent un préjudice irréparable à leur parti. En 2015, ils n’ont pu que se borner à constater que le pouvoir de l’arrêter leur fait défaut. C’est du reste un phénomène mondial: le pouvoir politique se dilue et se fragmente, ce qui entrave de plus en plus la capacité des vieux briscards à conserver leur influence aujourd’hui et maintenant.
9. Fin de la poliomyélite en Afrique
C’est inédit, 2015 est la première année sans nouveau cas de poliomyélite en Afrique. Un combat dont Bill Gates s’était fait le fer de lance et qui se solde aujourd’hui par cet excellent résultat. La polio paralysait chaque année 350.000 enfants dans le monde. De 1988 à aujourd’hui, le nombre de cas a chuté de 99,9%. En 2015, les victimes de cette maladie seront moins d’une centaine (principalement au Pakistan et en Afghanistan). Et pour la première fois de l’histoire, donc, l’Afrique n’enregistre pas de nouvelle incidence. Quelquefois, quand l’humanité veut, elle peut.
10. «Normalisation» de la diplomatie américaine
Les États-Unis ont engagé un processus de normalisation avec l’Iran et Cuba. Bien que l’on ne sache pas très bien comment va évoluer cette situation de «normalisation», cette année a vu la réouverture de l’ambassade de Cuba aux États-Unis et vice versa. Quant aux ennemis jurés que sont l’Iran et les États-Unis, ils se sont donné la main (avec cinq autres puissances) dans le cadre d’un accord controversé, mais non moins important, pour limiter le programme nucléaire de Téhéran. Voilà encore deux bonnes nouvelles.